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quand sa mesure est comblée, se change en fureur. En effet, une crainte modérée contient les esprits ; mais lorsqu’elle est continuelle et violente, lorsqu’elle offre sans cesse l’image de périls extrêmes, elle réveille l’audace dans des âmes abattues, et les porte à tout entreprendre. C’est ainsi qu’une enceinte formée de cordes garnies de plumes suffit pour arrêter le^bêtes fauves ; mais, poursuivies par le chasseur qui les harcèle de ses traits, elles cherchent à fuir à travers les obstacles devant lesquels elles reculaient, et foulent aux pieds l’objet de leur effroi.

Le courage le plus terrible est celui dont l’explosion est produite par l’extrême nécessité. 11 faut que la crainte laisse subsister quelque sécurité, et qu’elle offre en perspective plus d’espoir que de péril ; car autrement l’homme qui n’a pas moins à redouter dans la soumission que dans la révolte, aime mieux affronter le danger et attenter à la vie de son oppresseur. Un roi pacifique et modéré peut compter sur la fidélité de ceux dont il emploie le secours pour le salut de l’état ; et l’armée, fière d’être l’instrument de la sécurité publique, supporte ses travaux avec joie, en songeant que celui qu’elle garde est son père. Mais voyez ce despote farouche et sanguinaire ; il est impossible que ses satellites ne lui soient pas suspects.

XIII. Les ministres des volontés d’un roi ne peuvent être dévoués et fidèles s’il en fait des instruments de torture et de supplice, s’il leur livre des hommes comme on les livre aux bêtes féroces. Plus redoutable et plus ombrageux que les plus grands criminels, parce qu’il craint à la fois les dieux et les hommes, témoins et vengeurs de ses forfaits, un tel prince finit par arriver au point de ne pouvoir plus changer de mœurs :