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atteindre jusqu’à elle. Il faut laisser aux femmes les emportements de la colère.

Les bêtes féroces seules (et ce ne sont pas celles qui appartiennent aux espèces généreuses) mordent avec furie et accablent un ennemi terrassé. Les éléphants et les lions abandonnent leur adversaire dès qu’ils l’ont renversé ; l’acharnement n’appartient qu’aux animaux les plus méprisables. Une colère cruelle et inexorable est indigne d’un roi ; il renonce à sa supériorité, en se rabaissant, par son emportement, au niveau de celui qui en est l’objet. Que si, au contraire, il accorde la vie, s’il maintient dans leurs dignités ceux qui ont mérité de les perdre, il fait ce qui n-est possible qu’à celui-là seul qui dispose de tout. On peut en effet ôter la vie à son supérieur, on ne saurait la donner qu’à son inférieur. Sauver, c’est le privilège de la dignité suprême, qui ne doit jamais être envisagée avec plus de respect que lorsqu’elle a le bonheur d’exercer le même pouvoir que les dieux, auxquels, bons et méchants, nous devons tous également le jour ; que, s’élevant aux sentiments de la Divinité, il se complaise donc à voir ceux de ses sujets qui sont vertueux et utiles, et laisse le reste dans la foule ; qu’il se félicite de l’existence des uns, et qu’il souffre celle des autres.

VI. Songez que vous êtes dans une ville où, au milieu des rues les plus larges, une foule sans cesse en mouvement se presse jusqu’à s’étouffer dès qu’un obstacle arrête dans son cours ce torrent rapide ; où, au même instant, le peuple se fait jour vers trois théâtres, où l’on consomme les produits du monde entier : figurez-vous quelle solitude, quelle désolation y régneraient, si l’on n’y épargnait que ce qu’une justice sévère au-