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cause la cruauté des hommes privés ! mais la cruauté des princes est une véritable guerre.

Quoique toutes les vertus soient liées entre elles, et qu’il n’y en ait pas de meilleure ni de plus estimable que les autres, cependant il en est qui conviennent plus particulièrement à certaines personnes.

La grandeur d’âme sied à tout homme, quelque bas qu’il soit placé dans la société ; car que peut-il y avoir de plus grand et de plus courageux que de lutter contre le malheur ? Néanmoins elle est plus au large dans la prospérité ; plus en évidence sur un terrain élevé que dans une situation ordinaire. Quant à la clémence, quelle que soit la demeure dans laquelle elle pénètre, elle y apporte le bonheur et la tranquillité ; mais dans le palais des rois elle est d’autant plus admirable, qu’elle y est plus rare. Qu’y a-t-il en effet de plus admirable que de voir un prince dont la colère ne rencontre pas d’obstacle, dont les arrêts les plus rigoureux sont accueillis sans murmure par ceux mêmes qu’ils frappent ; que, dans l’accès de sa colère, on n’ose interroger et l’on ne tente pas même de fléchir, parvenir à se mettre un frein à lui-même, n’exercer sa puissance qu’avec bonté et douceur ; et cela, parce qu’il se dit intérieurement : Il n’y a personne qui ne puisse donner la mort contre la loi ; je suis le seul qui puisse sauver malgré elle ?

La grandeur de l’âme doit répondre à celle de la fortune : si la première n’égale pas la seconde, si même elle ne la surpasse, elle la met avec elle plus bas que la terre. Or, le propre de la grandeur d’âme est le calme, la tranquillité et le mépris avec lesquels elle regarde des injures et des offenses qui ne peuvent