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semblance des usages. En effet, les Corses ont la coiffure et la chaussure des Cantabres ; ils ont même quelques mots de leur langue ; car leur idiome primitif est entièrement altéré par leur commerce avec les Grecs et les Liguriens. Ensuite deux colonies de citoyens romains y furent amenées, l’une par Marius, l’autre par Sylla : tant cette roche épineuse et aride a vu renouveler souvent sa population ! Enfin vous aurez de la peine à trouver une terre habitée aujourd’hui par les indigènes ; toutes les nations sont mélangées et, pour ainsi dire, entées les unes sur les autres ; elles se sont tour à tour succédé. Celle-ci a convoité ce que celle-là dédaignait ; une autre, après avoir expulsé les habitants d’un pays, en a été chassée à son tour. Tel est l’arrêt du destin : il n’est rien dont la fortune soit irrévocablement fixée. Abstraction faite de tous les inconvénients attachés à l’exil, Varron, le plus docte des Romains, remarque, comme une consolation suffisante contre le changement de lieu, que, partout où l’on va, on jouit toujours de la même nature. M. Brutus regarde comme un dédommagement suffisant, la faculté qu’ont les bannis d’emporter leurs vertus avec eux. Si chacune de ces consolations, prise à part, ne suffit pas à un exilé, on conviendra de leur efficacité quand elles sont réunies. À quoi se réduit en effet notre perte ? Nous ne pouvons faire un pas sans être suivis des deux choses les plus belles : de la nature, commun domaine des humains, et de notre vertu personnelle. Croyez-moi, le créateur de ce vaste univers, quel qu’il ait été, soit un dieu, maître de toutes choses, soit une intelligence incorporelle, capable d’opérer les plus éclatantes merveilles, soit un souffle divin, répandu avec une égale énergie dans les plus petits corps comme dans les plus