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temps d’avance, et, quelle que soit la variété d’événements qui distingue la vie de chacun, il y a une ressemblance générale qui domine tout : ce que nous possédons doit périr, comme nous périrons nous-mêmes. Pourquoi nous plaindre et nous indigner ? C’est la loi de notre existence. Que la nature use à son gré des corps qu’elle a formés ; nous contents quoi qu’il arrive, exempts de faiblesse, pensons que rien de ce qui est nous ne périt. Quel est donc le devoir de l’homme vertueux ? de s’abandonner au destin. C’est une grande consolation que d’être emporté avec l’univers. Quelle que soit la puissance qui ordonne ainsi de notre vie et de notre mort, elle assujettit à une pareille loi les dieux mêmes. Un torrent, que rien ne peut arrêter, entraîne également et les dieux et les hommes. Le créateur, l’arbitre de l’univers, qui a tracé les arrêts du destin, y est lui-même soumis. 11 a ordonné une fois, il obéit toujours.

« Mais, dira-t-on, pourquoi, dans la distribution des destinées, Dieu a-t-il été assez injuste pour assigner aux gens de bien la pauvreté, les blessures, les catastrophes ? » L’ouvrier ne peut changer la matière ; elle est passive. Chaque être a ses conditions nécessaires, essentielles, inévitables. Les âmes qui doivent languir dans le sommeil, ou veiller dans un état qui en diffère peu, se composent d’éléments sans aucune énergie. Mais pour former un grand homme, il faut un destin plus fort : il ne s’avancera pas par une route unie ; il doit monter, descendre, être ballotté par les vagues, naviguer dans la bourrasque ; il faut qu’il poursuive sa route ayant la fortune contraire. Il trouvera bien des obstacles, bien des écueils ; c’est à lui de les aplanir et de les vaincre avec ses propres forces. L’or est