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unis par les liens du sang ; puis, en m’adressant à vous-même en vous prouvant que votre sort n’est pas non plus si déplorable, puisqu’il dépend entièrement du mien. Je commencerai par le point le plus intéressant pour votre cœur : je n’éprouve aucun mal. Si je ne puis vous en convaincre, je démontrerai jusqu’à l’évidence que les peines dont vous me croyez accablé, ne sont pas insupportables. Peut-être refuserez-vous de me croire ; mais je m’applaudirai davantage de trouver la félicité dans ce qui d’ordinaire fait le malheur des hommes. Ne vous en rapportez point aux autres sur mon compte, ne vous laissez pas troubler par des opinions incertaines ; c’est moi qui vous déclare que je ne suis point malheureux ; j’ajouterai, pour vous tranquilliser encore plus, qu’il m’est impossible de le devenir.

V. La destinée de l’homme est heureuse, s’il ne sort point de son état. Pour nous faire goûter le bonheur, la nature n’exige pas de grands apprêts ; notre félicité est entre nos mains. Les objets du dehors n’ont qu’une faible puissance ; ils n’influent sensiblement sur nous ni en bien ni en mal. La prospérité n’enfle point le cœur du sage, l’adversité ne saurait l’abattre. Sans cesse, il a travaillé à placer dans sa vertu toutes ses ressources, à chercher en lui-même tout son bonheur. Mais quoi ! aurais-je la prétention de me donner pour sage ? Non. Si j’osais prendre ce titre, je soutiendrais non seulement que je ne suis point malheureux, mais je me proclamerais le plus fortuné des mortels, et pour ainsi dire le rival de Dieu même. Il me suffit, pour adoucir toutes les amertumes de la vie, de m’être confié aux sages. Trop faible encore pour ma propre défense, je me suis réfugié dans un camp de