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fois sur vous, pour que votre douleur ne pût trouver aucun support. Je passe sous silence cette foule innombrable de périls et d’alarmes dont vous avez généreusement soutenu les continuels assauts. Naguère, sur ce même sein qu’ils venaient de quitter, vous avez recueilli les cendres de vos trois petits-fils. Vingt jours après avoir rendu les honneurs funèbres à mon fils, mort entre vos bras, au milieu des plus tendres caresses, vous apprenez que je suis enlevé à votre amour. Il ne vous manquait plus que de porter le deuil des vivants.

III. Ce dernier coup est le plus sensible de tous ceux qui vous ont frappée, j’en conviens ; il n’a pas seulement attaqué l’épiderme, il a percé votre cœur, déchiré vos entrailles. Mais, de même que des soldats novices jettent les hauts cris à la moindre blessure, et redoutent moins le fer de l’ennemi que la main du médecin, tandis que des vétérans, grièvement blessés, supportent l’amputation sans gémir, sans se plaindre, comme s’il s’agissait du corps d’un autre ; de même vous devez aujourd’hui vous prêter avec courage au traitement. Loin de vous les lamentations, les cris aigus et les manifestations bruyantes de douleur que fait d’ordinaire éclater une femme. Pour vous tant de malheurs seraient en pure perte, si vous n’aviez pas encore appris à être malheureuse. Eh bien ! trouvez-vous que j’en use avec mollesse ? Je n’ai rien retranché à vos infortunes ; je les ai toutes accumulées sous vos yeux ! En cela, j’ai montré de l’intrépidité ; car je prétends vaincre et non amoindrir votre douleur.

IV. Oui, j’en triompherai, je l’espère, d’abord en vous montrant que je ne souffre rien qui puisse me faire regarder comme malheureux, à plus forte raison rendre tels ceux qui me sont