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tés, vierge et pure de tous vices, cherchant la fortune sans cupidité, les honneurs sans ambition, les plaisirs sans mollesse, vous flattiez-vous de le conserver longtemps ? C’est au sommet de la perfection que la catastrophe est imminente. Une vertu achevée disparaît bien vite, et se dérobe aux yeux mortels ; et ce qui mûrit de bonne heure n’attend point l’arrière-saison. Plus le feu jette un vif éclat, plus il est prompt à s’éteindre : il dure, lorsque luttant contre des matières lentes et difficiles à s’enflammer sa lueur, qu’éclipse la fumée, sort comme d’un nuage : de son peu d’aliment naît son opiniâtreté. De même les esprits qui brillent le plus, vivent le moins ; et dès que la place manque au progrès, on touche à la chute. Fabianus cite un phénomène que nos pères ont aussi vu à Rome ; un enfant grand comme un homme de haute taille ; mais il ne vécut guère, et toute personne sensée l’avait prédit. Pouvait-il, en effet, parvenir à un âge dont la nature lui avait fait les avances ? Ainsi la maturité est l’indice de la décomposition : la fin est proche, quand tous les degrés d’accroissement sont franchis.

XXIV. Comptez les vertus, et non l’âge de votre fils, il aura bien assez vécu. À la mort de son père, il était jusqu’à sa quatorzième année resté sous la surveillance de ses tuteurs, et sous la vôtre toute sa vie. Bien qu’il eût une maison à lui, il ne voulut pas quitter le toit maternel. Par son âge, sa taille, sa noble figure et l’ensemble d’une constitution forte, il semblait être né pour les camps : il refusa la carrière des armes pour ne pas se séparer de vous. Calculez combien de mères voient rarement leurs enfants, dès qu’elles habitent d’autres demeures qu’eux ; combien d’années ainsi perdues pour elles, ou passées dans l’anxiété, tant qu’elles ont leurs fils à la guerre ; et voyez