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Il est dans notre nature de ne trouver du charme qu’à ce que nous avons perdu, et le souvenir de ce qu’on n’a plus rend injuste pour ce qui reste. Mais calculez combien le sort vous a épargnée, même en vous maltraitant : vous verrez qu’il vous est laissé plus que des consolations. N’avez-vous pas deux filles, et de nombreux petits-enfants ?

XVII. Dites encore, ô Marcia : « Je pourrais m’indigner, si nos destins étaient selon nos mérites ; si le malheur ne poursuivait jamais les bons ; mais je vois que, sans nulle différence, bons et méchants, tous sont jouets des mêmes orages. Mais il est cruel de perdre un jeune homme élevé par moi, déjà l’appui de sa mère, l’héritier d’un père dont il soutenait la gloire. » Cela est cruel ; qui le nie ? mais cela est dans l’ordre des choses humaines : Vous êtes née pour perdre, pour périr, pour espérer, pour craindre, pour troubler le repos d’autrui et le vôtre, pour redouter et désirer la mort, et, ce qui est pis, pour ignorer toujours votre vraie position.

Si l’on disait à un homme prêt à partir pour Syracuse : « Je vais t’exposer tous les inconvénients, comme tous les agréments du voyage que tu projettes : tu t’embarqueras ensuite si tu veux. Voici ce que tu pourras admirer : tu découvriras d’abord cette île célèbre, séparée par un faible détroit de l’Italie, dont autrefois elle faisait certainement partie, et qui s’en est vue détachée par une soudaine irruption de la mer, qui

Du flanc de l’Hespérie arracha la Sicile.

Ensuite (car tu pourras fort bien longer ce gouffre dit {l’Insa-