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pour que le genre humain leur doive encore un nouveau service ; pour qu’il apprenne par eux que les fils mêmes des dieux, ceux du sang desquels naîtront des dieux, ne sont pas maîtres de leur propre sort comme ils le sont de l’univers ?

L’immortel Auguste vit ses enfants, ses petits-enfants, toute la race impériale s’éteindre, et remplit par l’adoption le vide de sa maison. Et pourtant il souffrit tous ces revers en homme pour ainsi dire déjà intéressé à ce que nul ne se plaignît des dieux.

La nature et l’adoption avaient donné deux fils à Tibère ; il les perdit tous deux. Lui-même fit à la tribune l’éloge du second ; et, debout, en face du cadavre dont il n’était séparé que par un voile qui doit préserver les yeux d’un pontife de ces sinistres aspects, au milieu des pleurs de tout un peuple, son visage resta impassible ; il apprit dès lors à Séjan, qui était à ses côtés, avec quelle force d’âme Tibère pouvait perdre les siens.

Voyez enfin la foule des grands hommes : le malheur, qui n’épargne rien, n’a pas respecté ceux que le ciel avait comblés de tous les trésors de l’âme, des vertus privées, des honneurs publics. Ainsi la mort fait sa ronde dévastatrice, et sans distinction moissonne et chasse tout devant elle comme sa proie. Demandez à chaque homme son histoire : nul n’a reçu impunément la lumière.

XVI. « Vous oubliez, m’allez-vous dire, que c’est une femme que vous voulez consoler : vous ne me citez que des hommes. » — Eh ! qui oserait dire que la nature, en créant la femme, l’ait dotée peu généreusement, et qu’elle ait rétréci pour elle la sphère des vertus ? Sa force morale, n’en doutez pas, vaut la nôtre. Elle peut comme nous, dès qu’elle le veut,