Page:Sénèque - Oeuvres complètes, trad Charpentier, Tome III, 1860.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée

mortels. Vous, matière corruptible et qui passe, harcelée sans cesse de fléaux et de maladies, aviez- vous compté que de la faiblesse même seraient nées la force et l’immutabilité ? Votre fils n’est plus, c’est-à-dire, il a couru où se hâte d’arriver ce que vous jugez si heureux de lui survivre ; où se dirigent à pas inégaux tous ces plaideurs du Forum, ces oisifs des théâtres, ces suppliants de nos temples. Et les objets de vos vénérations et ceux de vos mépris ne seront qu’une même cendre.

Telle est la leçon tirée des oracles de la Pythie : Connais-toi toi-même. Qu’est-ce que l’homme ? Vase fragile et sans consistance, il ne faut qu’une faible secousse, et non une grande tempête, pour te briser ; le plus léger choc va te dissoudre. Qu’est-ce que l’homme ? Corps débile et frêle, nu, sans défense naturelle, incapable de se passer du secours d’autrui, en butte à tous les outrages du sort ; qui, après qu’il a glorieusement exercé ses muscles, devient la pâture de la première bête féroce, la victime du moindre ennemi ; brillant par ses traits extérieurs, pétri au dedans de faiblesse et d’infirmités : le froid, la chaleur, la fatigue, il ne supporte rien ; l’inertie d’autre part et l’oisiveté hâtent sa destruction ; il craint jusqu’à ses aliments, dont le manque ou l’excès le tuent ; être dont la conservation s’achète par mille soucis, par mille angoisses, dont le souffle est précaire et ne tient à rien ; qu’une peur subite ou l’éclat trop fort d’un bruit imprévu peut frapper de mort ; qui n’est enfin que pour ses semblables une nourriture malsaine et dangereuse. Et l’on s’étonne qu’un de nous meure, quand c’est là pour tous une nécessité ! Pour renverser l’homme, en effet, est-il besoin d’un grand effort ? Une odeur, une saveur, la lassitude, les veilles, les humeurs, la table, et