Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/329

Cette page n’a pas encore été corrigée

sans soldats ? Mais il y a plus : même en la séparant de sa suite immédiate, inévitable, des embûches, des éternels soucis qu’enfantent des luttes mutuelles, la colère se punit elle-même, quand elle se venge ; elle étouffe cette voix de la nature qui dit à l’homme : Fais le bien, aime ton semblable ; elle répond : Je veux haïr, je veux faire le mal.

Ajoutez que la colère, c’est-à-dire le soulèvement d’un excessif amour-propre, noble en apparence, n’est au fond que le plus bas, le plus étroit des sentiments. Qui que tu sois, qui te juges méprisé d’un autre, tu te reconnais inférieur à lui. Un grand cœur, sûr de ce qu’il vaut, ne se venge pas, car il ne sent pas l’injure ; ainsi les traits rebondissent sur un corps dur, et les masses compactes affectent douloureusement la main qui les frappe. Non, jamais un grand azur n’est sensible à l’injure : elle est toujours moins forte que lui. Qu’il est beau de s’entourer comme d’une égide impénétrable qui renvoie tous les traits de l’offense et du mépris ! La vengeance est un aveu que le coup a porté, et ce n’est pas une âme forte que celle qui plie sous un outrage. L’homme qui vous blesse est-il plus faible que vous ? épargnez-le ; plus puissant ? pardonnez-lui, par égard pour vous-même.

VI. Le signe le plus certain de la vraie grandeur, c’est que nul accident ne puisse nous émouvoir. La région du monde la plus pure et la plus élevée, celle qui avoisine les astres, ne rassemble pas de nuages, n’éclate pas en tempêtes, ne se roule pas en tourbillons ; elle est dans un calme parfait : c’est au-dessous que gronde la foudre. Ainsi une âme sublime, toujours paisible, placée loin des orages, étouffe en elle tous les germes de la colère : l’ordre, la modération, la majesté l’accompagnent.