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soupçons étaient vains, gourmandons notre crédulité. De cette sévérité naîtra l’habitude de ne pas croire trop aisément.

XXV. Une autre règle à s’imposer est de ne pas entrer en fureur pour les plus frivoles et les plus misérables sujets. Mon esclave est peu alerte ; mon eau à boire trop chaude, mon lit mal arrangé ; ma table négligemment dressée. S’irriter de si peu est folie, comme c’est preuve de malaise et de faible santé que de frissonner au plus léger souffle ; comme c’est avoir les yeux malades que d’être ébloui par une étoffe d’une blancheur éclatante ; comme c’est être énervé de mollesse que de souffrir à voir travailler les autres. Ainsi l’on raconte du Sybarite Myndiride, qu’apercevant un homme qui en creusant la terre levait sa pioche un peu haut, il témoigna que cela le fatiguait, et lui défendit de continuer à travailler en sa présence. Le même se plaignit souvent d’avoir eu l’épiderme meurtri pour s’être couché sur des feuilles de rose repliées. Quand les voluptés ont empoisonné à la fois l’âme et le corps, toutes choses semblent insupportables, non par leur dureté, mais par notre mollesse. Y a-t-il, en effet, de quoi entrer dans des accès de rage pour la toux ou l’éternuement d’un valet, pour une mouche qu’il n’aura pas su chasser, pour un chien qui se trouve dans notre chemin, pour une clef tombée par mégarde de la main d’un esclave ? Souffriras-tu patiemment les invectives de tes égaux, les diatribes du Forum ou du sénat, toi dont l’oreille est déchirée parle frottement d’un siège traîné sur le parquet ? Endureras-tu la faim, la soif, une campagne sous un ciel ardent, si tu t’emportes contre un valet parce qu’il fait mal le vin à la neige ?