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d’eux, s’ils ne meurent point d’assez bonne grâce, et qui, par son air, ses gestes, son acharnement, se fait de spectateur bourreau.

Ce sentiment, quel qu’il soit, n’est certes pas la colère, mais il en approche. C’est celui de l’enfant qui veut qu’on batte la terre, parce qu’il est tombé. Il ne sait souvent contre quoi il se fâche ; seulement il est fâché, sans motif, il est vrai, et sans, avoir reçu de mal ; toutefois il lui semble qu’il en a reçu, il éprouve quelque envie de punir. Aussi prend-il le change aux coups qu’on fait semblant de frapper : des prières ou des larmes feintes l’apaisent, et une vengeance imaginaire emporte une douleur qui ne l’est pas moins.

III. « Souvent, dira-t-on, l’homme s’irrite non contre des gens qui lui ont fait tort, mais qui doivent lui en faire, preuve que la colère ne vient pas uniquement de l’offense. » Oui, sans doute, le pressentiment du mal irrite ; mais c’est que l’intention est déjà une injure, et que la méditer, c’est l’avoir commise. On dit encore : « La colère n’est point un désir de vengeance, puisque fréquemment les plus faibles la ressentent contre les plus forts ; peuvent-ils prétendre à des représailles qu’ils n’espèrent même pas ? » Mais d’abord par colère, nous entendons le désir, et non la faculté de se venger ; or, on désire même ce qu’on ne peut. Est-il en outre si humble mortel qui n’espère, avec quelque raison, tirer satisfaction de l’homme le plus puissant ? On est toujours assez puissant pour nuire. La définition d’Aristote n’est pas bien éloignée de la nôtre ; car il dit que la colère est le désir de rendre mal pour mal. Il serait trop long de faire ressortir en détail en quoi cette dé-