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qu’un vieillard encore à l’abécé de la vie41 ! Jeune, il faut acquérir, pour jouir quand on sera vieux.

Tu auras beaucoup fait pour toi-même, si tu rends ton ami le meilleur possible. Les plus belles grâces à faire comme à désirer, les grâces de premier choix, comme on dit, sont celles qu’il est aussi utile de donner que de recevoir. Enfin ton ami n’est plus libre ; il s’est obligé, et l’on doit moins rougir de manquer à un prêteur qu’à une promesse de vertu. Pour solder sa dette d’argent il faut au commerçant une traversée heureuse, à l’agriculteur la fécondité du sol qu’il cultive, la faveur du ciel : l’autre engagement s’acquitte par la seule volonté. La Fortune n’a pas droit sur les dispositions morales. Qu’il les règle donc de façon que son âme, dans un calme absolu, arrive à cet état parfait qui, n’importe ce qu’on nous enlève ou nous donne, ne s’en ressent pas et demeure toujours au même point, quoi que deviennent les événements. Qu’on lui prodigue de vulgaires biens, elle est supérieure à tout cela ; que le sort lui dérobe tout ou partie de ces choses, elle n’en est pas amoindrie. Si le possesseur de cette âme était né chez les Parthes, dès le berceau il tendrait déjà l’arc ; si dans la Germanie, sa main enfantine brandirait la framée. Contemporain de nos aïeux, il eût appris à dompter un cheval et à frapper de près l’ennemi. Voilà pour chacun ce que l’éducation nationale a d’influence et d’autorité.

Quel sera donc l’objet de son étude ? Ce qui est de bon usage contre toute espèce d’armes et d’ennemis : le mépris de la mort. Que la mort ait en elle quelque chose de terrible, qui effarouche cet amour de soi que la nature a mis dans nos âmes, nul n’en doute ; autrement il ne serait pas nécessaire de se préparer et de s’enhardir à une chose où un instinct volontaire nous porterait, comme est porté tout homme à sa propre conservation. Il ne faut pas de leçons pour se résoudre à coucher au besoin sur des roses ; il en faut pour s’endurcir aux tortures et n’y point subordonner sa foi ; pour savoir, au besoin, debout, blessé quelquefois, veiller au bord des retranchements et ne pas même s’appuyer sur sa lance, car la sentinelle inclinée sur quelque support peut être surprise par des intervalles de sommeil. La mort n’apporte aucun malaise ; pour sentir du malaise, il faudrait vivre encore. Que si la soif d’un long âge te possède si fort, songe que de tous ces êtres qui disparaissent pour rentrer au sein de la nature d’où ils sont sortis, d’où bientôt ils sortiront encore, nul ne s’anéantit. Tout cela change et ne