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tortures toutes les parties de son corps, ou recevoir dans la bouche un tison ardent, ou étendre ses bras sur un gibet, ne songe pas à ses souffrances, mais au mérite de les bien supporter.

XVIII. Il est grand, quel qu'il soit, plus grand qu'on ne le peut concevoir, ce Dieu auquel nous consacrons notre vie : c'est son suffrage qu'il faut mériter. Car il ne sert de rien que notre conscience soit fermée aux hommes : elle est ouverte à Dieu6…Que fais-tu ? Que machines-tu ? Que caches-tu ? Ton surveillant te suit. Tu en as eu d'autres qu'un voyage, que la mort, que la maladie t'enlevèrent ; celui-ci reste à tes côtés, et jamais il ne te manquera. Pourquoi choisir un lieu reculé, éloigner les témoins ? Crois-tu donc avoir réussi à te soustraire aux yeux de tous ? Insensé ! Que gagnes-tu à n'avoir point de confidents ? N'as-tu pas ta conscience ?

XIX. Ne sauriez-vous concevoir un Dieu dont la grandeur égale la mansuétude, un Dieu vénérable par sa douce majesté, ami de l'homme, toujours présent à ses côtés, et qui demande non point des victimes ni des flots de sang pour hommage (quel plaisir est-ce pour lui de voir égorger d'innocents animaux ?), mais qui veut une âme pure, des intentions bonnes et honnêtes ? Il n'a pas besoin de temples faits de pierres qu'on entasse et élève bien haut : c'est dans son cœur que tous doivent lui vouer un sanctuaire.

XX. La première enfance de Rome se passa sous le roi Romulus, qui fut son père et commença pour ainsi dire son éducation. Le second âge a été sous les rois suivants ; elle grandit et se forma à l'abri de leurs nombreux règlements et de leurs institutions. Mais quand Tarquin régna, Rome, adulte déjà, impatiente de la servitude, rejeta le joug de ce superbe maître, et aima mieux obéir aux lois qu'à la royauté. Son adolescence finit avec les guerres Puniques ; alors des forces avaient pris tout leur développement, et elle entrait dans la jeunesse. Carthage, en effet, ayant cessé d'être après lui avoir longtemps disputé l'empire, Rome étendit en tous lieux, sur terre et sur mer, ses puissantes mains, tant qu'enfin, rois et peuples réunis tous sous son commandement, et les éléments de guerre lui manquant, elle fit de ses forces un funeste usage en les tournant à sa propre ruine. De là date sa vieillesse, alors que déchirée de guerres civiles, en proie à des convulsions intestines, elle tombe de nouveau sous le régime d'un chef unique et rétrograde vers l'enfance. Car, ayant perdu