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QUESTIONS NATURELLES.

pas observé le cours des comètes, comme celui des cinq étoiles errantes, je répondrai qu’il est mille choses dont nous admettons l’existence, tout en ignorant leur nature. Que nous ayons une âme dont la voix souveraine tantôt nous excite, tantôt nous rappelle, tout le monde l’avoue ; mais cette âme quelle est-elle ? Quel est ce chef, ce régulateur de nous-mêmes ? Nul ne te l’expliquera, pas plus qu’il ne t’indiquera où il siège. L’un dit : « C’est un souffle ; » l’autre répond : « C’est une harmonie ; » celui-ci le nomme une force divine, une parcelle de la divinité ; celui-là l’appelle un air éminemment subtil ; cet autre, une puissance immatérielle. Il s’en trouve qui la placent dans le sang, dans la chaleur vitale. Comment verrait-elle clair dans tout le reste, cette âme qui en est encore à se chercher elle-même2 ?

XXV. Pourquoi donc s’étonner que les comètes, dont le monde a si rarement le spectacle, ne soient point encore pour nous astreintes à des lois fixes, et que l’on ne connaisse ni d’où viennent ni où s’arrêtent ces corps dont les retours n’ont lieu qu’à d’immenses intervalles ? Il ne s’est pas écoulé quinze siècles depuis que

La Grèce par leur nom a compté les étoiles[1]3.


Aujourd’hui encore, que de peuples ne connaissent du ciel que son aspect, et ne savent pas pourquoi la lune s’éclipse et se couvre d’ombre ! Nous-mêmes, sur ce point, ne sommes arrivés que depuis peu à une certitude raisonnée. Un âge viendra où ce qui est mystère pour nous sera mis au jour par le temps et les études accumulées des siècles. Pour de si grandes recherches, la vie d’un homme ne suffit pas, fût-elle toute consacrée à l’inspection du ciel. Que sera-ce, quand de ce peu d’années nous faisons deux parts si inégales entre l’étude et de vils plaisirs ? Ce n’est donc que successivement et à la longue que ces phénomènes seront dévoilés. Le temps viendra où nos descendants s’étonneront que nous ayons ignoré des choses si simples. Ces cinq planètes qui assiègent nos yeux, qui se présentent sur tant de points et forcent notre curiosité, nous ne connaissons que d’hier leur lever du matin et du soir, leurs stations, le moment où elles s’avancent en ligne directe, la cause qui les fait revenir sur leurs pas. Les émersions de Jupiter, son coucher, sa marche rétrograde, ainsi a-t-on appelé son mouvement de retraite, ne nous sont familiers que depuis peu d’années. Il s’est trouvé des sages pour nous dire ; « C’est

  1. Virgile, Géorg., I, 137.