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LIVRE VII.

sent qu’en passant ; ainsi la foudre n’a de force que pour un seul coup ; ainsi les étoiles filantes ou tombantes ne font que traverser l’air qu’elles sillonnent. Jamais feu n’a de durée, si son foyer n’est en lui-même ; je parle de ces feux divins, de ces éternels flambeaux du monde, qui sont ses membres, ses ministres[1]. Mais ceux-ci accomplissent une tâche, fournissent une carrière, gardent un ordre constant, sont toujours égaux à eux-mêmes. D’un jour à l’autre on les verrait croître ou décroître, si leur flamme était d’emprunt et leur cause instantanée. Cette flamme serait moindre ou plus grande, selon le plus ou le moins d’aliments qu’elle aurait. Je viens de dire qu’une flamme produite par l’altération de l’air n’a point de longue durée ; j’ajouterai même qu’elle ne peut durer et se maintenir en nulle façon. Car les torches, la foudre, les étoiles filantes, tous les feux que l’air exprime de son sein, ne peuvent que fuir dans l’espace, et on ne les voit que tomber. La comète a sa région propre ; aussi n’en est-elle pas expulsée si vite ; elle achève son cours ; elle ne s’éteint pas, elle s’éloigne de la portée de nos yeux. Si c’était une planète, dira-t-on, elle roulerait dans le zodiaque. — Mais qui peut assigner aux astres une limite exclusive, confiner et tenir à l’étroit ces êtres divins ? Ces planètes mêmes, qui seules te semblent se mouvoir, parcourent des orbites différentes les unes des autres. Pourquoi n’y aurait-il pas des astres qui suivraient des routes particulières et fort éloignées de celles des planètes ? Pourquoi quelque région du ciel serait-elle inaccessible ? Que si l’on veut absolument que toute planète touche le zodiaque, la comète peut avoir un cercle assez large pour y coïncider en quelque partie, ce qui est non pas nécessaire, mais possible.

XXIV. Vois s’il n’est pas plus digne de la grandeur du monde céleste de le diviser en des milliers de routes diverses, que d’y vouloir un seul sentier battu et de faire du reste un morne désert. Croiras-tu que dans cette immense et magnifique architecture, parmi ces astres innombrables qui décorent et diversifient le tableau des nuits, qui ne laissent jamais l’atmosphère vide et sans action, cinq étoiles seules aient leur mouvement libre, tandis que les autres restent là, peuple immobile et stationnaire ? Si maintenant l’on me demande d’où vient qu’on n’a

  1. Au texte : partes ejus sunt et opera. Je lirais volontiers : aperæ. Selon les stoïciens, un dieu était attaché à chaque astre et dirigeait ses mouvements.