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LIVRE VII.

des constellations, sur cette immense voûte dont elles diversifient la beauté, n’attire pas l’attention des peuples ; mais qu’il s’y produise quelque chose d’extraordinaire, tous les visages sont tournés vers le ciel. Le soleil n’a de spectateur que lorsqu’il s’éclipse1. On n’observe la lune que quand elle subit pareille crise. Alors les cités poussent un cri d’alarme, alors chacun tremble pour soi d’une superstitieuse panique. Combien n’est-il pas plus merveilleux de voir le soleil parcourir, à peu de chose près, autant de degrés qu’il fait naître de jours, ce soleil qui, dans sa révolution, clôt l’année ; qui, après le solstice, fait décroître les jours en rétrogradant, et dans sa marche toujours plus oblique laisse aux nuits plus d’espace ; qui efface la clarté des astres ; qui, tant de fois plus grand que la terre, ne la consume point, mais la réchauffe par sa chaleur qu’il dispense tour à tour plus intense et plus faible ; qui n’illumine ou n’éclipse jamais tout le disque de la lune, que lorsqu’elle lui fait face. Tous ces faits, on n’y prend pas garde, tant que l’harmonie ne s’interrompt point. Survient-il quelque trouble, quelque apparition inaccoutumée, on regarde, on interroge, on provoque l’attention des autres. Tant il est dans notre nature d’admirer le nouveau plutôt que le grand ! Même chose a lieu pour les comètes. S’il apparaît de ces corps de flamme d’une forme rare et insolite, chacun veut savoir ce que c’est ; on oublie tout le reste pour s’enquérir du nouveau venu ; on ne sait s’il faut admirer ou trembler : car on ne manque pas de gens qui sèment la peur, qui tirent de là de graves pronostics. Aussi les questions se pressent, on brûle de savoir si c’est un prodige, ou un astre. Non certes, il n’est point de recherche plus noble, d’enseignement plus utile que celui qui porte sur la nature des étoiles et des corps célestes : y a-t-il là une flamme concentrée, comme l’affirment notre vue et la lumière même qu’ils nous versent[1] et la chaleur qui descend d’eux à nous ; ou bien, au lieu de globes enflammés, sont-ce des corps solides et terreux qui, glissant dans les plages ignées, en reçoivent, pour briller ainsi, une couleur d’emprunt, une clarté qui n’est pas en eux ? Cette opinion fut celle de grands esprits : ils regardaient les astres comme des substances dures et compactes qui s’alimentent de feux étrangers. La flamme toute seule, disent-ils, se dissiperait, si elle n’était re-

  1. Au texte : ipsum ab aliis fluens lumen. Je crois qu’il faut lire : ab illis ou ab astris.