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QUESTIONS NATURELLES.

sels, mais partiels. Comment serait-il possible qu’un corps porté tout entier par l’eau ne fût pas agité tout entier, quand ce fluide est agité ? « Mais d’où viennent les eaux qu’on a vues jaillir ? » D’abord, souvent la terre tremble, sans qu’il en sorte de nouvelles eaux. Ensuite, si telle était la cause de ces éruptions, elles n’auraient lieu qu’autour des flancs du globe ; ce que nous voyons arriver sur les fleuves et en mer : l’exhaussement de l’onde, à mesure que s’enfonce le navire, se remarque surtout aux flancs du bâtiment. Enfin l’éruption dont on parle ne serait pas si minime, et comme une voie d’eau qui s’infiltre par une fente légère ; l’inondation serait immense en raison de l’abîme infini sur lequel flotterait le monde.

VII. D’autres, en attribuant à l’eau les tremblements de terre, les expliquent autrement. La terre, disent-ils, est traversée en tous sens de cours d’eau de plus d’une espèce ; tels sont, entre autres, quelques grands fleuves constamment navigables même sans le secours des pluies. Ici le Nil, qui roule en été d’énormes masses d’eaux ; là, coulant entre le monde romain et ses ennemis, le Danube et le Rhin : l’un qui arrête les incursions du Sarmate et forme la limite de l’Europe et de l’Asie ; l’autre qui contient cette race germanique si avide de guerre. Ajoute l’immensité de certains lacs, des étangs entourés de peuplades qui entre elles ne se connaissent pas, des marais innavigables, et que ne peuvent pas même traverser ceux qui en habitent les bords. Et puis tant de fontaines, tant de sources mystérieuses qui vomissent des fleuves comme à l’improviste. Enfin tous ces torrents impétueux, formés pour un moment, et dont le déploiement est d’autant plus prompt qu’il dure moins. Toutes ces eaux se retrouvent sous terre, de même nature et de même aspect. Là aussi, les unes sont emportées dans un vaste cours et retombent par tourbillons en cataractes ; d’autres, plus languissantes, s’étendent sur des lits moins profonds et suivent une pente douce et paisible. Il faut, sans contredit, que de vastes réservoirs les alimentent, et qu’il y en ait de stagnantes en plus d’un lieu. On croira, sans longs arguments, que les eaux abondent là où sont toutes les eaux du globe. Car comment suffirait-il à produire tant de rivières, sans l’inépuisable réserve d’où il les tire ? S’il en est ainsi, n’est-il pas inévitable que quelquefois l’un de ces fleuves déborde, abandonne ses rives, et frappe d’un choc violent ce qui lui fait obstacle ? Il y aura alors ébranlement dans la partie de la terre que le fleuve aura frappée, et qu’il ne cessera de battre jusqu’à