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QUESTIONS NATURELLES.

vents qui sortent des cavernes et des retraites intérieures du globe. Le globe n’est point solide et plein jusqu’en ses profondeurs ; il est creux en maintes parties,

…Et suspendu sur de sombres abîmes[1].


Certaines de ces cavités sont vides et sans eau. Bien que nulle clarté n’y laisse voir les modifications de l’air, je crois pouvoir dire que dans ces ténèbres séjournent des nuages et des brouillards. Car ceux qui sont au-dessus de la terre n’existent pas parce qu’on les voit ; on les voit parce qu’ils existent. Les nuages souterrains n’en existent donc pas moins, pour être invisibles. Tu dois savoir que sous terre il est des fleuves semblables aux nôtres : les uns coulent paisiblement ; les autres roulent et se précipitent avec fracas sur des rochers. Tu m’accorderas aussi, n’est-ce pas, l’existence de lacs souterrains, d’eaux stagnantes et privées d’issue ? S’il en est ainsi, nécessairement l’air, dans ces cavités, se charge d’exhalaisons qui, pesant sur les couches inférieures, donnent naissance au vent par cette pression même. Il faut donc reconnaître que des vents couvent dans l’obscurité de ces nuages souterrains, et qu’après avoir amassé assez de force ils emportent l’obstacle qu’oppose le terrain, ou s’emparent de quelque passage ouvert à leur fuite, pour s’élancer par ces voies caverneuses jusqu’au séjour de l’homme. Il est en outre manifeste que la terre enferme dans son sein d’énormes quantités de soufre et d’autres substances non moins inflammables. Le vent qui s’y engouffre pour trouver une issue doit, par le seul frottement, allumer la flamme. Bientôt l’incendie gagne au loin ; l’air stagnant lui-même se dilate, s’agite et cherche à se faire jour, avec un frémissement terrible et des efforts impétueux. Mais je traiterai ceci avec plus de détail quand il s’agira des tremblements de terre.

XV. Permets-moi ici de te raconter une anecdote. Au rapport d’Asclépiodote, Philippe fit descendre un jour nombre d’ouvriers dans une ancienne mine, depuis longtemps abandonnée, pour en explorer les richesses, la situation, et voir si l’avidité des aïeux avait laissé quelque chose à leur postérité1. Les ouvriers descendirent avec une provision de flambeaux pour plusieurs jours. Après une longue et fatigante route, ils découvrirent des fleuves immenses, de vastes réservoirs d’eaux dor-

  1. Ovide, Métam., I, 388.