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QUESTIONS NATURELLES.

part. Si cette brève définition est à l’abri de la critique, employons-la ; si l’on y veut plus de scrupule, ne lésinons pas sur un mot dont l’addition préviendrait toute chicane. Venons maintenant à la chose même ; c’est assez discuter sur les termes.

II. Démocrite dit que le vent se forme lorsque dans un vide étroit sont réunis un grand nombre de corpuscules, qu’il appelle atomes ; l’air, au contraire, est calme et paisible, lorsque dans un vide considérable ces corpuscules sont peu nombreux. Dans une place, dans une rue, tant qu’il y a peu de monde, on circule sans embarras ; mais si la foule se presse en un passage étroit, les gens qui se renversent les uns sur les autres se prennent de querelle ; ainsi, dans l’atmosphère qui nous environne, qu’un espace exigu soit rempli d’un grand nombre d’atomes, il faudra qu’ils tombent l’un sur l’autre, qu’ils se poussent et repoussent, qu’ils s’entrelacent et se compriment. De là se produit le vent, lorsque ces corps qui luttaient entre eux commencent à céder et à fuir après une longue fluctuation. Dans un espace considérable où nageront quelques atomes, il n’y aura ni choc ni impulsion.

III. Cette théorie est fausse ; et ce qui le prouve, c’est que parfois il n’y a pas le moindre vent quand l’air est tout chargé de nuages. Alors pourtant il y a plus de corps pressés et à l’étroit, ce qui produit l’épaisseur et la pesanteur des nuages. Ajoute qu’au dessus des fleuves et des lacs s’élèvent fréquemment des brouillards dus à l’agglomération de corpuscules condensés, sans que pour cela il y ait du vent. Quelquefois même le brouillard est assez épais pour dérober la vue des objets voisins ; ce qui n’aurait pas lieu sans l’entassement d’une multitude d’atomes sur un petit espace. Jamais pourtant il n’y a moins de vent que par un temps nébuleux ; c’est même le contraire qui arrive : le soleil, au matin, dissout en se montrant, les vapeurs humides qui épaississent l’air. Alors le vent se lève, après que la masse de ces corpuscules, enfin dégagée, se résout et se dissémine.

IV. Comment donc se forment les vents, puisque tu nies, qu’ils se forment[1] comme le veut Démocrite ? — De plus d’une manière. Tantôt c’est la terre elle-même qui exhale et chasse à grands flots l’air de son sein ; tantôt, lorsqu’une grande et continuelle évaporation a poussé de bas en haut ces exhalai-

  1. Je lis comme Fickert, d’après un Ms. : quoniam hoc modo negas fieri ? Lemaire : quos non negas fieri ?