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QUESTIONS NATURELLES.

cours suffisants. Babillus, cet excellent homme, d’une instruction si rare en tout genre de littérature, dit avoir vu, pendant sa préfecture d’Égypte, à la bouche dite héracléotique, la plus large des sept, des dauphins venant de la mer, et des crocodiles menant du fleuve à leur rencontre une troupe des leurs qui livrèrent aux dauphins une sorte de combat en règle : les crocodiles furent vaincus par ces pacifiques adversaires, dont la morsure est inoffensive. Les crocodiles ont toute la région dorsale dure et impénétrable à la dent même d’animaux plus forts qu’eux ; mais le ventre est mou et tendre. Les dauphins, en plongeant, le leur entamaient avec la scie qu’ils portent saillante sur le dos, et dans leur élan de bas en haut les éventraient. Beaucoup de crocodiles furent décousus de la sorte ; les autres firent un mouvement de conversion et se sauvèrent. Cet animal fuit quand on le brave ; plein d’audace si on le craint. Les Tentyrites en triomphent, non par une vertu particulière de leur race ou de leur sang, mais par le mépris qu’ils en font, et par la témérité. Ils l’attaquent intrépidement ; ils lui jettent, dans sa fuite, un licou et le tirent à eux ; beaucoup de ces hommes périssent pour avoir manqué de présence d’esprit dans la poursuite.

Le Nil, autrefois, roulait une onde salée comme celle de la mer, au rapport de Théophraste. Il est constant que deux années de suite, la dixième et la onzième du règne de Cléopatre, le Nil ne déborda point, ce qui prophétisait, disait-on, la chute de deux puissances : Antoine et Cléopatre virent, en effet, crouler la leur. Dans les siècles les plus reculés, le Nil fut neuf ans sans sortir de son lit, à ce que prétend Callimaque.

Abordons maintenant l’examen des causes qui font croître le Nil en été, et commençons par les plus vieux auteurs. Anaxagore attribue cette crue à la fonte des neiges qui, des montagnes de l’Éthiopie, descendent jusqu’au Nil. Ce fut l’opinion de toute l’antiquité. Eschyle, Sophocle, Euripide, énoncent le même fait ; mais une foule de raisons en font ressortir la fausseté. D’abord, ce qui prouve que l’Éthiopie est un climat brûlant, c’est le teint aduste de ses habitants, et les demeures que les Troglodytes se creusent sous terre. Les pierres y brûlent comme au sortir du feu, non-seulement à midi, mais jusque vers le déclin du jour ; le sable est comme embrasé, et ne peut, recevoir le pied de l’homme ; l’argent se sépare du plomb ; les soudures des statues se détachent ; sur quelque matière que l’on applique des ornements, le placage ne tient