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LIVRE III.

emporte tout à la fois ? Et la même impétuosité qui entraîne les animaux ne les engloutit-elle pas ? Vous avez conçu, comme vous le deviez, l’image imposante de la terre s’abîmant toute sous l’eau, du ciel même qui fond sur la terre : soutenez ce ton ; vous saurez ce qu’il convient de dire si vous songez que c’est tout un monde qui se noie7. — Revenons maintenant à notre sujet.

XXVIII. Quelques auteurs pensent que des pluies excessives peuvent dévaster le globe, non le submerger ; qu’il faut de grands coups contre une si grande masse ; que la pluie peut gâter les moissons, la grêle abattre les fruits, et les ruisseaux grossir les fleuves, mais qu’ils rentrent bientôt dans leurs lits. La mer se déplacera, assurent quelques autres : telle est la cause qui amènera ce grand cataclysme ; ni torrents, ni pluies, ni fleuves déchaînés ne peuvent produire l’universel naufrage. Quand l’heure falale est tout proche, quand le renouvellement du genre humain est résolu, les eaux du ciel tombent sans interruption et ces pluies-là sont des torrents, je l’accorde ; plus d’aquilon ni de vent qui dessèche ; les autans multiplient les nuages, et les pluies, et les fleuves.

…Le mal, hélas ! incessamment s’augmente :
Ces moissons, des mortels et l’espoir et l'amour,
Les travaux d’une année, ont péri sans retour[1].

Il s’agit non plus de nuire à la terre, mais de l’engloutir Tout cela n’est que préludes, après lesquels enfin les mers s’élèvent à une hauteur inusitée et portent leurs fiots au-dessus du niveau extrême des plus grandes tempêtes. Puis les vents les chassent devant eux, et roulent d’immenses nappes d’eau qui vont se briser loin de la vue des anciens rivages. Lorsque la mer a reculé ses bords et s’est fixée sur un sol étranger, présentant la dévastation de plus près, un courant violent s’élance du fond de l’abîme. L’eau est en effet aussi abondante que l’air et que l’éther, et plus abondante encore dans les profondeurs où l’œil ne pénètre pas. Une fois mise en mouvement, non par le flux, mais par le destin, dont le flux n’est que l’instrument, elle se gonfle, elle se développe de plus en plus, et pousse toujours devant elle. Enfin, dans ses bonds prodigieux, elle dépasse ce que l’homme regardait comme d’inac-

  1. Le premier vers est d’un auteur inconnu. Les deux autres sont d’Ovide, Métam., I, 272.