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QUESTIONS NATURELLES.

la gale, la lèpre, parsemaient de taches blanches le corps de ceux qui en buvaient ou qui s’y lavaient : inconvénient qu’on attribue à l’eau de rosée. Qui ne croirait que ce sont les eaux les plus pesantes qui forment le cristal ? Or, c’est tout le contraire ; il est le produit des eaux les plus légères, qui par leur légèreté même se congèlent le plus facilement. Le mode de sa formation est indiqué par le nom même que les Grecs lui donnent : le mot χρύσταλλος rappelle, en effet, et le minéral diaphane, et la glace dont on croit qu’il se forme. L’eau du ciel, ne contenant presque point de molécules terreuses, une fois durcie, se condense de plus en plus par la continuité du froid jusqu’à ce que, totalement dégagée d’air, elle se comprime tout entière sur elle-même ; alors ce qui était eau devient pierre.

XXVI. Il y a des fleuves qui grossissent en été, comme le Nil, nous expliquerons ailleurs ce phénomène. Théophraste affirme que, dans le Pont, certains fleuves ont leur crue à cette époque. On donne quatre raisons de ce fait : ou la terre alors est plus disposée à se changer en eau ; ou bien il tombe vers les sources des pluies qui, par des conduits souterrains et inaperçus, s’en vont alimenter ces fleuves ; ou bien leur embouchure est plus fréquemment battue par des vents qui refoulent leurs flots et arrêtent leur courant, lequel paraît grossir parce qu’il ne s’écoule plus. La quatrième raison est que les astres, dans certains mois, font sentir davantage aux fleuves leur action absorbante, tandis qu’à d’autres époques, étant plus éloignés, ils attirent et consument moins d’eau. Ainsi ce qui, auparavant, se perdait, produit une espèce de crue. On voit des fleuves tomber dans un gouffre où ils disparaissent aux regards ; on en voit d’autres diminuer graduellement, puis se perdre, et à quelque intervalle reparaître et reprendre leur nom et leur cours. Cela s’explique clairement ; ils trouvent sous terre des cavités, et l’eau se porte naturellement vers les lieux les plus bas et où des vides l’appellent. Reçus dans ces lits nouveaux, ils y suivent leur cours invisible ; mais, dès qu’un corps solide vient leur faire obstacle, ils le brisent sur le point qui résiste le moins à leur passage, et coulent de nouveau à l’air libre.

Tel le Lycus, longtemps dans la terre englouti,
Sous un ciel étranger renaît loin de sa source ;
Tel, perdu dans un gouffre et caché dans sa course,
L’Érasin reparaît dans les plaines d’Argos[1].

  1. Ovide, Métam., XV, 277. Desaintange.