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LIVRE III.

pas un n’a la force de voir la mort d’un père, cette mort qu’il a souhaitée. Combien peu suivent jusqu’au bûcher le corps d’un parent ! La dernière heure d’un frère, d’un proche est délaissée ; à celle d’un rouget on accourt en foule. Est-il, en effet, une plus belle chose ? Non, je ne puis retenir, en cas pareils, des expressions risquées et qui passent la vraie mesure : ils n’ont pas assez, pour l’orgie, des dents, de la bouche et du ventre : ils sont gourmands même par les yeux.

XIX. Mais pour revenir à mon texte, voici une preuve que la terre nous cache de grands amas d’eau, fertiles en poissons immondes. Que cette eau vienne à sortir de la terre, elle apporte avec elle une foule prodigieuse d’animaux repoussants à l’œil comme au goût, et funestes à qui s’en nourrit. Il est certain que dans la Carie, aux environs de la ville d’Hydisse, il jaillit tout à coup une masse d’eau souterraine, et qu’on vit mourir tous ceux qui goûtèrent des poissons amenés par ce nouveau fleuve à la face du ciel jusqu’alors inconnu pour eux. Qu’on ne s’en étonne pas : c’étaient des masses de chair alourdies et tuméfiées par un long repos ; privés d’ailleurs d’exercice, et engraissés dans les ténèbres, ils avaient manqué de cette lumière d’où vient toute salubrité. Ce qui indique que des poissons peuvent naître sous terre et à cette profondeur, c’est qu’il naît des anguilles dans des trous creusés dans la vase, et que le même défaut d’exercice les rend d’autant plus lourdes à digérer, que les retraites où elles se cachent sont plus profondes. La terre renferme donc, et des veines d’eau dont la réunion peut former des fleuves, et en outre des rivières immenses, dont les unes poursuivent leur cours invisible jusqu’au golfe qui les absorbe ; d’autres émergent du fond de quelque lac. Personne n’ignore qu’il existe des lacs sans fond. Que conclurai-je de là ? Qu’évidemment les grands cours d’eau ont un réservoir permanent, dont les limites sont aussi peu calculables que la durée des fleuves et des fontaines.

XX. Mais d’où viennent les différentes saveurs des eaux ? De quatre causes : d’abord, du sol qu’elles traversent ; ensuite, de la conversion de ce même sol en eau ; puis, de l’air qui aura subi pareille transformation ; enfin, de l’altération produite souvent par quelque agent délétère. Voilà ce qui donne aux eaux leurs saveurs diverses, leurs vertus médicinales, leur odeur forte, leurs exhalaisons mortelles, leur légèreté ou leur pesanteur, leur chaleur ou leur froid de glace. Elles se modifient selon qu’elles passent sur un sol saturé de soufre, de