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QUESTIONS NATURELLES.

ou le soufre, en s’y mêlant, les congèlera plus ou moins promptement. Dans le corps humain, une fois la veine ouverte, le sang coule jusqu’à ce qu’il s’épuise, ou que l'incision soit fermée, ou qu’il reflue par quelque autre cause. De même les veines de la terre une fois déchirées et ouvertes, il en sort des ruisseaux ou des fleuves, selon la grandeur de l’orifice et les moyens d’écoulement. Tantôt un obstacle tarit la source, tantôt la déchirure se cicatrise pour ainsi dire et ferme l’issue qu’elle offrait ; d’autres fois la terre, que nous avons dite être transmuable, cesse de fournir des matières propres à se liquéfier ; d’autres fois aussi les pertes se réparent ou par des forces naturelles, ou par des secours venus d’ailleurs ; car souvent un endroit vide, placé à côté d’un endroit plein, attire à soi le liquide ; et souvent la terre, portée à changer d’état, se fond et se résout en eau. Il s’opère sous la terre le même phénomène que dans les nuées : l’air s’épaissit, et dès lors, trop pesant pour ne pas changer de nature, il devient eau. Souvent les gouttelettes éparses d’un fluide délié se rassemblent, comme la rosée, et se réunissent en un réservoir commun. Les fontainiers donnent le nom de sueur à ces gouttes que fait sortir la pression du terrain, ou que fait transpirer la chaleur. Mais ces faibles écoulements formeront tout au plus une source. Il faut des causes puissantes et de riches réserves pour engendrer un fleuve. Il sort paisible, si l’eau n’est entraînée que par son propre poids ; impétueux et déjà bruyant, si elle est chassée par l’air qui s’y trouve mêlé.

XVI. Mais d’où vient que quelques fontaines sont pleines six heures durant, et à sec pendant six autres heures ? Il serait superflu d’énumérer tous les fleuves qui grossissent dans certains mois, et dans d’autres sont fort réduits, ou de chercher les causes de chaque phénomène, quand la même peut s’appliquer à tous. De même que la fièvre quarte revient à son heure, que la goutte a ses époques fixes, les menstrues, si rien ne les arrête, leurs retours périodiques, et que l’enfant naît au mois où il est attendu ; ainsi les eaux ont leurs intervalles pour disparaître et pour se représenter. Ces intervalles sont parfois plus courts, et dès lors plus sensibles ; parfois plus longs, mais toujours réguliers. Faut-il s’en étonner, quand on voit l’ordre de l’univers et la marche invariable de la nature ? Jamais l’hiver ne se trompe d’époque ; l’été ramène ses chaleurs au temps voulu ; l'automne et le printemps les remplacent tous deux, à leur tour ; et le solstice et l’équinoxe ont leur jour certain.