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QUESTIONS NATURELLES.

plus maintenir son principe, se convertit en eau. De même qu’au-dessus de nos têtes, de l’air ainsi modifié naît la pluie ; de même se forment sous terre les fleuves et les rivières. L’air ne peut longtemps demeurer immobile et peser sur l’atmosphère ; il est de temps à autre raréfié par le soleil, ou dilaté par les vents ; aussi y a-t-il de longs intervalles d’une pluie à une autre. Quelle que soit la cause qui agisse sur l’air souterrain pour le changer en eau, elle agit sans cesse : c’est la perpétuité de l’ombre, la permanence du froid, l’inertie et la densité de cet air ; les sources et les fleuves ne cesseront donc pas d’être alimentés. La terre, suivant nous, est susceptible de transmutation. Tout ce qu’elle exhale, n’ayant pas pris naissance dans un air libre, tend à s’épaissir et se convertit promptement en eau. »

X. Telle est la première cause de la formation des eaux dans l’intérieur du globe. Ajoute que tous les éléments naissent les uns des autres ; l’eau se change en air, et l’air en eau ; le feu se forme de l’air, et l’air du feu. Pourquoi la terre ne serait-elle pas de même produite par l’eau, et l’eau par la terre ? Si la terre peut se convertir en air et en feu, à plus forte raison peut-elle se changer en eau. La terre et l’eau sont homogènes, toutes deux pesantes, denses, et reléguées dans la région inférieure du monde. L’eau produit de la terre, pourquoi la terre ne produirait-elle pas de l’eau ? « Mais les fleuves sont si considérables ! » Si grands que tu les trouves, vois aussi de quel grand corps ils sortent. Tu es surpris que les fleuves, qui ne cessent de couler, et quelques-uns si rapidement, trouvent, pour s’alimenter, une eau toujours prête et toujours nouvelle. Mais es-tu surpris que l’air, malgré les vents qui le poussent dans toute sa masse, non-seulement ne s’épuise pas, mais coule jour et nuit avec le même volume ? Pourtant il ne court pas comme les fleuves dans un canal déterminé ; il embrasse dans son vaste essor l’espace immense des cieux. Es-tu surpris qu’il survienne toujours d’autres vagues après les vagues sans nombre qui se sont brisées sur la grève ? Rien ne s’épuise de ce qui revient sur soi-même. Chaque élément est soumis à ces retours alternatifs. Toutes les pertes de l’un vont enrichir l’autre ; et la nature tient ses différentes parties comme pondérées dans une balance, de peur que, les proportions dérangées, l’équilibre du monde ne soit rompu. Tout élément se retrouve dans tous. Non-seulement l’air se change en feu, mais il n’existe jamais sans feu : ôte-lui la