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QUESTIONS NATURELLES.

III. Ce qui rend l’eau stagnante ou courante, c’est la disposition des lieux : elle coule sur les plans inclinés ; en plaine, elle s’arrête immobile ; quelquefois le vent la pousse devant lui ; il y a alors contrainte plutôt qu’écoulement. Les amas d’eau proviennent des pluies ; les cours naturels naissent des sources. Rien n’empêche cependant que l’eau soit recueillie et naisse sur le même point ; témoin le lac Fucin, où les montagnes circonvoisines déversent leurs eaux pluviales[1]. Mais il recèle aussi dans son bassin des sources abondantes ; tellement que quand les torrents de l’hiver s’y jettent, son aspect ne change pas.

IV. Examinons en premier lieu comment la terre peut fournir à l’entretien continuel des fleuves, et d’où sort une telle quantité d’eau. On s’étonne que les fleuves ne grossissent pas sensiblement les mers ; il ne faut pas moins s’étonner que tous ces écoulements n’appauvrissent pas sensiblement la terre. D’où vient que ses réservoirs secrets regorgent au point de toujours couler et de suppléer incessamment à ses pertes ? La raison que nous donnerons pour les fleuves s’appliquera, quelle qu’elle soit, aux ruisseaux et aux fontaines.

V. Quelques auteurs prétendent que la terre réabsorbe toutes les eaux qu’elle épanche ; et que, si la mer ne grossit jamais, c’est qu’au lieu de s’assimiler les courants qui s’y jettent, elle les restitue aussitôt. D’invisibles conduits les ramènent sous terre ; on les a vus venir, ils s’en retournent secrètement ; les eaux de la mer se filtrent pendant ce trajet ; à force d’être battues dans les anfractuosités sans nombre de la terre, elles déposent leur amertume, et à travers les couches si variées du sol se dépouillent de leur saveur désagréable, pour devenir eaux tout à fait pures.

VI. D’autres estiment que la terre ne rend par les fleuves que les eaux fournies par les pluies ; et ils apportent comme preuve la rareté des fleuves dans les pays où il pleut rarement. L’aridité des déserts de l’Éthiopie, et le petit nombre de sources qu’offre l’intérieur de l’Afrique, ils l’attribuent à la nature dévorante du climat, où l’été règne presque toujours. De là ces mornes plaines de sables, sans arbres, sans culture, à peine arrosées de loin en loin par des pluies que le sol absorbe aussitôt. On sait, au contraire, que la Germanie, la Gaule, et, après

  1. Je lis d’après les Mss. : in quem montes circumjecti quidquid fudit pluvia derivant. Lemaire : montis…quidquid fudit. fluvii derivantur.