Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/512

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
502
QUESTIONS NATURELLES.

la pureté et à la ténuité de ses éléments. La seconde est roulée en globe et renferme un mélange d’air condensé et orageux. Ainsi la première retourne et s’échappe par le trou où elle est entrée. La force de la seconde, s’étendant au large, brise au lieu de percer. Enfin, la foudre qui brûle contient beaucoup de particules terrestres ; c’est un feu plutôt qu’une flamme : aussi laisse-t-elle de fortes traces de feu empreintes sur les corps qu’elle frappe. Sans doute le feu est toujours inséparable de la foudre ; mais on appelle proprement ignée celle qui imprime des vestiges manifestes d’embrasement. Ou elle brûle, ou elle noircit. Or, elle brûle de trois manières : soit par inhalation, alors elle lèse ou endommage bien légèrement ; soit par combustion, soit par inflammation. Ces trois modes de brûler ne diffèrent que par le degré ou la manière. Toute combustion suppose ustion ; mais toute ustion ne suppose pas combustion, non plus que toute inflammation ; car le feu peut n’avoir agi qu’en passant. Qui ne sait que des objets brûlent sans s’enflammer, tandis que rien ne s’enflamme sans brûler ? J’ajouterai un seul mot : il peut y avoir combustion sans inflammation, tout comme l’inflammation peut s’opérer sans combustion.

XLI. Je passe à cette sorte de foudre qui noircit les objets qu’elle frappe. Par là elle les décolore ou les colore. Pour préciser la différence, je dirai : Décolorer, c’est altérer la teinte sans la changer : colorer, c’est donner une autre couleur ; c’est, par exemple azurer, noircir ou pâlir. Jusqu’ici les Étrusques et les philosophes pensent de même ; mais voici le dissentiment : les Étrusques disent que la foudre est lancée par Jupiter, qu’ils arment de trois sortes de carreaux. La première, selon eux, est la foudre d’avis et de paix ; elle part du seul gré de Jupiter. C’est lui aussi qui envoie la seconde, mais sur l’avis de son conseil, les douze grands dieux convoqués3. Cette foudre salutaire ne l’est pas sans faire quelque mal. La troisième est lancée par le même Jupiter, mais après qu’il a consulté les dieux qu’on nomme supérieurs et voilés. Cette foudre ravage, englobe et dénature impitoyablement tout ce qu’elle rencontre, choses publiques ou privées. C’est un feu qui ne laisse rien subsister dans son premier état.

XLII. Ici, à première vue, l’antiquité se serait trompée. Car quoi de plus absurde que de se figurer Jupiter, du sein des nuages, foudroyant des colonnes, des arbres, ses propres statues quelquefois ; laissant les sacrilèges impunis, pour frapper des moutons, incendier des autels, tuer des troupeaux inoffen-