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QUESTIONS NATURELLES.

son ; si c’est le fer qui la divise, l’air s’échappe sans frapper l’oreille ; pour qu’il y ait explosion, il faut la rompre, non la couper. J’en dis autant des nuages ; sans un déchirement brusque et violent, ils ne retentissent pas[1]. Ajoute que les nuages poussés contre une montagne ne se brisent point ; ils se moulent autour de certaines parties de la montagne, autour des arbres, des arbustes, des roches escarpées et des pics ; c’est ainsi qu’ils se disséminent et laissent fuir sur mille points l’air qu’ils peuvent contenir : à moins qu’il n’éclate dans tout son volume, il ne fait pas explosion. Ce qui le prouve, c’est que le vent qui se divise en traversant les branches des arbres, siffle et ne tonne pas. Il faut un coup qui frappe au loin et qui disperse simultanément le nuage tout entier, pour que le son éclate, pour que le tonnerre se fasse entendre.

XXIX. De plus, l’air est de sa nature propre à transmettre les sons. Qu’est-ce, en effet, que le son ? Rien autre chose que la percussion de l’air. Il faut donc que les nuages qui viennent à être déchirés soient creux et distendus ; car tu vois qu’il y a bien plus de sonorité dans un espace vide que dans un espace plein, dans un corps distendu que dans celui qui ne l’est pas. Ainsi, les tambours ne résonnent que parce que l’air qui réagit est repoussé contre leurs parois intérieures ; et le bruit aigu des cymbales n’est dû qu’à la compression de l’air dans leurs cavités.

XXX. Quelques philosophes, et entre autres Asclépiodote, pensent que le tonnerre et la foudre peuvent sortir aussi du choc de certains autres corps. Jadis l’Etna, dans une de ses grandes éruptions, vomit une immense quantité de sables brûlants. Le jour fut voilé de poussière, et une nuit soudaine épouvanta les peuples. En même temps, dit-on, il y eut quantité de tonnerres et de foudres formés du concours de corps arides, et non par les nuages, qui vraisemblablement avaient tous disparu de cette atmosphère enflammée. Cambyse envoya contre le temple de Jupiter Ammon une armée, qui fut d’abord couverte, puis ensevelie sous des sables que l’Auster soulevait et laissait retomber comme une neige. Alors aussi, probablement, il jaillit des foudres et des tonnerres du frottement des sables entre-choqués. Cette opinion ne répugne pas à notre théorie ; car nous avons dit que la terre exhale des corpuscules de deux espèces, secs et humides, qui circulent dans toute l’atmos-

  1. Je lis avec trois Mss. : dissiluere, non sonant. Lemaire : dissolutæ.