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QUESTIONS NATURELLES.

sion. Ce déplacement circulaire, circumstantia chez nous, et chez les Grecs péristase, s’opère dans l’air comme dans l’eau. L’air, en effet, entoure tous les corps qui le pressent, et n’a pas besoin que le vide s’y interpose. Mais nous reprendrons ailleurs ce sujet.

VIII. De tout ceci il faut conclure qu’il y a dans la nature un principe d’activité de la plus grande force. En effet, il n’est point de corps dont l’élasticité n’augmente l’énergie. Ce qui n’est pas moins vrai, c’est qu’un corps ne saurait développer dans un autre une élasticité qui ne serait pas naturelle à celui-ci ; tout comme nous disons que rien ne saurait être mû par une action étrangère sans avoir en soi une tendance à la mobilité. Or, que jugerons-nous plus essentiellement élastique que l’air ? Qui lui refusera cette propriété en voyant comme il bouleverse la terre et les montagnes, les maisons, les murailles, les tours, de grandes cités et leurs habitants, les mers et toute l’étendue de leurs rivages ? Son élasticité se prouve par sa rapidité et sa grande expansion. L’œil plonge instantanément à plusieurs milles de distance ; un seul son retentit à la fois dans des villes entières ; la lumière ne s’infiltre pas graduellement, elle inonde d’un jet la nature entière.

IX. L’eau, à son tour, quel ressort pourrait-elle avoir sans le secours de l’air ? Doutes-tu que ces jets, qui du fond et du centre de l’arène s’élancent jusqu’au faîte de l’amphithéâtre, ne soient produits par le ressort de l’eau ? Or, il n’est ni pompe ni machine qui puisse lancer ou faire jaillir l’eau plus fort que ne le fait l’air. L’air se prête à tous les mouvements de l’eau qui, par le mélange et la pression de ce fluide, se soulève, lutte en cent façons contre sa propre nature, et monte, toute créée qu’elle est pour descendre. Par exemple : un navire qui s’enfonce à mesure qu’on le charge ne fait-il pas voir que ce n’est point l’eau qui l’empêche d’être submergé, mais l’air ? Car l’eau céderait, et ne pourrait soutenir un poids quelconque, si elle-même n’était soutenue. Un disque qu’on jette de haut sur un bassin d’eau ne s’enfonce pas, il rejaillit ; comment cela, si ce n’est l’air qui le repousse ? Et la voix, par quel moyen passerait-elle à travers l’épaisseur des murs, si dans les matières solides même il ne se trouvait de l’air pour recevoir et transmettre le son qui frappe du dehors ? Oui, l’air n’agit pas seulement sur les surfaces, il pénètre l'intérieur des corps, ce qui lui est facile, parce que ses parties ne sont jamais séparées, et qu’a travers tout ce qui semble le diviser il conserve sa cohérence. L’interposition des murailles, des montagnes les plus