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LIVRE II.

en atomes, demeurerait épars, et une substance disséminée ne saurait faire corps. Le ressort de l’air se démontre par le ballon qu’il gonfle et qui résiste aux coups ; il se démontre par ces objets pesants transportés au loin sans autre véhicule que le vent ; il se démontre par la voix, qui faiblit ou s’élève proportionnellement à l’impulsion de l’air. Qu’est-ce, en effet, que la voix, sinon l’air, mis enjeu par la percussion de la langue pour produire un son ? Qu’est-ce que la course et toute locomotion ? Des effets de l’air respiré avec plus ou moins de force. C’est l’air qui donne aux nerfs leur vigueur, et aux coureurs leur agilité. Quand il s’agite et tourbillonne avec violence, il arrache arbres et forêts, il enlève et brise des édifices entiers. La mer immobile et stagnante par elle-même, c’est l’air qui la soulève. Passons à de moindres effets ; que serait le chant sans le ressort de l’air ? Les cors, les trompettes, et ces instruments qui, sous la pression de l’eau, rendent un son plus fort que ne ferait une bouche humaine, n’est-ce pas l’air comprimé qui fait agir leur mécanisme ? Considérons quelle force immense et inaperçue déploient des graines presque imperceptibles, et qui, par leur ténuité, ont trouvé place dans les jointures des pierres : elles viennent à bout de séparer des roches énormes et de détruire des monuments ; les racines les plus menues, les plus déliées, fendent des blocs massifs de rochers. Quelle autre cause serait-ce, sinon l’élasticité de l’air, sans laquelle il n’est point de force, et contre laquelle nulle force n’est assez puissante ? Quant à l’unité de l’air, elle peut se déduire suffisamment de la cohésion de toutes les parties du corps humain. Qui les maintient de la sorte, si ce n’est l’air ? Qui donne le mouvement, chez l’homme, au principe vital ? Comment y a-t-il mouvement s’il n’y a ressort ? d’où vient ce ressort, sinon de l’unité ; et cette unité, sinon de l’air même ? Enfin, qui pousse hors du sol les récoltes, l’épi si faible à sa naissance ; qui fait grandir ces arbres verdoyants ; qui étend leurs branches ou les élance vers le ciel, sinon le ressort et l’unité de l’air ?

VII. Certains auteurs divisent l’air et le partagent en molécules, entre lesquelles ils supposent le vide. Ce qui prouve, selon eux, que ce n’est pas un corps plein, mais qu’il s’y trouve beaucoup de vide, c’est la facilité qu’ont les oiseaux à s’y mouvoir et à le parcourir, les plus grands comme les plus petits. L’argument est faux ; car l’eau offre la même facilité, et il n’y a point de doute sur l’unité de ce liquide qui ne reçoit les corps qu’en refluant toujours en sens contraire de l’immer-