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LIVRE I.

que peu[1] plus grand que le soleil. » Je viens de dire qu’on fait des miroirs qui grossissent tout ce qu’ils représentent. J’ajouterai que tous les objets, vus à travers l’eau, semblent bien plus considérables. Des caractères menus et peu distincts, lus au travers d’un globe de verre plein d’eau , sont plus gros à l’œil et plus nets. Les fruits qui nagent dans le cristal paraissent plus beaux qu’ils ne sont ; les astres, plus grands à travers un nuage , parce que la vue de l’homme manque de prise dans un fluide, et ne peut saisir exactement les objets. Cela devient manifeste si tu remplis d’eau une coupe, et que tu y jettes un anneau ; l’anneau a beau demeurer au fond, son image est répercutée à la surface. Tout ce qu’on voit à travers un liquide quelconque est beaucoup plus gros que nature. Est-il étonnant que l’image du soleil grossisse de même, vue dans l’humidité d’un nuage, puisque deux causes y concourent à la fois, la transparence en quelque sorte vitrée du nuage et sa nature aqueuse ? Car, s’il ne contient pas l’eau toute formée, le nuage en élabore les principes, et c’est en eau qu’il doit se convertir.

VII. « Puisque, va-t-on me dire, vous avez parlé de verre, je prends texte de là même pour argumenter contre vous. On fabrique des baguettes de verre cannelées ou à plusieurs angles saillants, comme ceux d’une massue, lesquelles, si elles reçoivent transversalement les rayons du soleil , présentent les teintes de l’iris, preuve que ce n’est pas là l’image du soleil, mais une imitation de couleurs par répercussion.» Cet argument milite en grande partie pour moi. D’abord il démontre qu’il faut un corps poli et analogue au miroir pour répercuter le soleil ; ensuite, que ce ne sont nullement des couleurs qui se forment alors, mais de faux-semblants comme ceux qui, je l’ai dit, paraissent ou s’effacent sur le cou des pigeons, selon qu’ils se tournent dans tel ou tel sens. Or, il en est de même du miroir qui, on le voit, n’a pas de couleur à lui, mais simule une couleur étrangère. Un seul fait pourtant reste à expliquer : c’est qu’on ne voit pas dans cette baguette l’image du soleil, parce qu’elle n’est pas disposée pour la bien reproduire. Il est vrai qu’elle tend à le faire, vu qu’elle est d’une matière lisse et propre à cet effet ; mais elle ne le peut, parce qu’elle est irrégulièrement faite. Convenablement fabriquée, elle réfléchirait autant de soleils qu’elle aurait de faces. Ces faces n’étant pas assez détachées les unes des autres, et n’ayant pas

  1. Trois manusc. aliquanta. Lemaire : aliquando.