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sations passées quand d’aventure ses organes en sont avertis : un cheval mis en face d’une route se ressouvient s’il l’a déjà prise ; dans l’écurie il n’a nulle mémoire du chemin qu’il aura mille fois parcouru. L’idée de la troisième division du temps, l’idée de l’avenir n’est pas faite pour lui. Comment donc peut-on voir une entière perfection chez des êtres qui n’ont du temps qu’une imparfaite perception ? Car des trois parties qui le composent, le passé, le présent, l’avenir, c’est la plus courte que l’animal saisit dans son cours rapide, le présent ; il a rarement souvenir du passé, qui jamais ne lui revient qu’à l’occasion du présent. Ainsi, le bien qui appartient à une nature parfaite, ne peut s’allier à une nature qui ne l’est point ; ou, si cette dernière en possède un quelconque, c’est à la manière des plantes. Je ne nie pas que l’animal n’ait, vers ce qui semble conforme à notre nature, de vifs et impétueux élans, mais irréguliers et désordonnés. Or, jamais le vrai bien n’est irrégulier ou désordonné. « Mais, dira-t-on, pourquoi les animaux n’auraient-ils ni ordre ni règle dans leurs mouvements ? » Oui, voilà ce que j’affirmerais si l’ordre était dans leur nature ; mais, en réalité, ils se meuvent selon leur nature désordonnée. Il n’y a proprement de déréglé que ce qui peut être parfois conforme à la règle ; pour qu’il y ait inquiétude, il faut qu’il puisse y avoir sécurité ; le vice n’est jamais qu’où pourrait être la vertu. C’est ainsi que les mouvements des animaux correspondent à leur nature. Mais, pour ne pas trop t’arrêter, j’accorde qu’il peut y avoir chez les bêtes quelque bien, un mérite, une perfection qui n’ont rien d’absolu. Tout cela n’échoit qu’à l’être raisonnable auquel il est donné d’en apprécier les causes, l’étendue et l’application. Donc le bien ne se trouve que chez l’être doué de raison.

Tu demandes à quoi peut aboutir cette discussion, et quel profit ta pensée en recueillera. — Celui d’un exercice qui l’aiguise, d’une honnête occupation qui, faute de mieux, la tienne en haleine. L’homme profite aussi de tout ce qui arrête son élan vers le mal. Je dis plus : je ne puis mieux te servir qu’en te montrant ton vrai bien, qu’en te séparant de la bête, qu’en t’associant à Dieu. Pourquoi en effet, ô homme ! si bien nourrir et cultiver les forces de ton corps ? La nature en a octroyé de plus grandes à certains animaux domestiques ou sauvages. Pourquoi tant de soins de ta parure ? Tu auras beau faire : nombre d’entre eux te surpasseront en beauté. Et ta chevelure si artistement arrangée ? Quand tu l’aurais flottante à la mode