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Lettre CXIX.

Qu’on est riche quand on commande à ses désirs.

À chaque découverte que je fais, je n’attends pas que tu dises : Partageons ! je me le dis pour toi. Qu’ai je donc trouvé ? Tu veux l’apprendre ? Ouvre ta bourse : c’est tout profit. Je t’apprendrai le secret de devenir riche en un instant, secret dont tu es si curieux, et avec raison. Je te conduirai à la plus haute fortune par une voie expéditive. Il te faudra cependant un prêteur : car tout commerce nécessite des emprunts ; mais je ne veux pas que ce soit par entremetteur, ni que les courtiers aillent prônant ta signature. J’ai pour toi un créancier tout prêt, celui de Caton : « Emprunte à toi-même. » Quelque peu que ce soit suffira, si ce qui manque, nous ne le demandons qu’à nous. En effet, cher Lucilius, nulle différence entre ne pas désirer et posséder. Dans les deux cas le résultat est le même, des tourments de moins2. Et je ne prétends pas que tu refuses rien à la nature : elle est intraitable, on ne peut la vaincre, elle exige son dû ; je dis seulement que tout ce qui va au delà est purement volontaire, mais non point nécessité. Ai-je faim ? il faut manger. Que mon pain soit grossier ou de premier choix, cela ne fait rien à la nature. Elle veut, non que je délecte mon palais, mais que mon estomac soit rempli. Ai-je soif ? que mon eau soit puisée au lac voisin, ou que je l’aie enfermée sous une voûte de neige dont elle emprunte la fraîcheur, qu’importe à la nature ? Tout ce qu’elle me commande, c’est d’étancher ma soif. Sera-ce dans une coupe d’or ou de cristal, dans un vase murrhin ou de Tibur, ou dans le creux de ma main, qu’importe encore ? En toute chose considère le but, et laisse là ce qui n’y mène point. Je suis sommé par la faim : saisissons le premier aliment venu ; elle-même assaisonnera tout ce qui sera tombé sous ma main. La faim n’est jamais dédaigneuse.

Veux-tu donc savoir ce qui m’a plu si fort, ce qui me semble si bien dit ? « Le sage est le poursuivant le plus empressé des richesses naturelles. » Viande creuse dont tu me gratifies ! Qu’est-ce que cela ? J’avais déjà préparé mes coffres ; déjà je