Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
419
À LUCILIUS

turpitude est un mal, c’en sera un de la commettre, aussi sûrement que, si la chassie est un mal, c’est un mal d’être chassieux. Et, pour que tu le saches, l’un ne peut être sans l’autre. Qui est sage a la sagesse ; qui a la sagesse est sage. Il est si impossible de douter que l’un ne soit tel que l’autre, que tous deux semblent à quelques-uns être une seule et même chose.

Mais je demanderais volontiers, puisque toutes choses sont ou bonnes, ou mauvaises, ou indifférentes, dans quelle classe on place être sage ? Ce n’est pas un bien, dit-on ; ni un mal sans doute : c’est donc chose intermédiaire ou indifférente. Or, nous appelons ainsi ce qui peut échoir au méchant comme au bon : la fortune, par exemple, la beauté, la noblesse. Être sage ne peut échoir qu’au bon : donc ce n’est pas chose indifférente. Mais on ne peut même appeler mal ce qui ne peut échoir au méchant : donc c’est un bien. Ce qu’on n’a pas sans être bon est un bien ; être sage n’appartient qu’au bon, donc c’est un bien. « C’est, dis-tu, chose accidentelle à la sagesse. » Cet état que tu nommes être sage fait-il ou comporte-t-il la sagesse ? Dans l’un ou l’autre cas, c’est toujours un corps ; car ce qui est fait et ce qui fait est corps : s’il est corps, c’est un bien ; car il ne lui manquait pour cela que de ne pas être incorporel.

Les péripatéticiens veulent qu’il n’y ait nulle différence entre la sagesse et être sage, attendu que l’un, n’importe lequel, est compris dans l’autre. Penses-tu, en effet, que jamais homme puisse être sage, sinon celui qui possède la sagesse, et que celui qui est sage puisse ne pas la posséder ? Les anciens dialecticiens font une distinction qui a passé jusque chez les stoïciens, et laquelle ? La voici : Autre chose est un champ, autre chose est d’avoir un champ ; en effet, avoir un champ se dit du possesseur, non du champ même. Voilà comme la sagesse est autre chose qu’être sage. Tu accorderas, je crois, que l’objet possédé et le possesseur font deux : la sagesse est possédée, celui-là la possède qui est sage. La sagesse est l’âme perfectionnée ou portée au plus haut point de grandeur et de bonté : c’est en effet tout l’art de la vie. Être sage, qu’est cela ? Je ne puis dire : l’âme perfectionnée, mais bien l’heureux état de qui la possède. Ainsi, l’un est l’âme vertueuse, l’autre la possession de cette âme vertueuse. Il y a, disent les stoïciens, diverses natures de corps : par exemple, celles de l’homme, du cheval ; elles sont suivies de mouvements des âmes démonstratifs de ceux des corps. Les premiers ont quelque chose de particulier, distinct des corps : ainsi, je vois Caton se promener ;