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cond courait après. Or, tu vois où l’on va, quand d’un travers on s’est fait un type. Salluste a dit : Aquis hiemantibus ; l’hiver suspendait la navigation. Arruntius écrit, au premier livre de sa Guerre Punique : Repente hiemavit tempestas. Dans un autre endroit, pour dire que l’année fut très-froide : Totus hiemavit annus ; toute l’année fut hiver. Et plus loin : Hiemante aquilone. Sans cesse et partout le même verbe se trouve enchâssé. Salluste ayant dit quelque part : Inter arma civilia, æqui bonique famas petit ; Dans les guerres civiles il aspire aux renoms d’homme juste et honnête ; l’imitateur n’a pu se défendre de mettre au début même de son premier livre : Ingentes esse famas de Regulo ; Regulus eut d’immenses renoms.

Évidemment ces vices de style et d’autres analogues, contractés par imitation, ne prouvent ni relâchement de mœurs ni corruption d’âme. Il faut qu’ils soient personnels, qu’ils naissent de notre fonds pour donner la mesure de nos penchants. Un homme violent a l’expression violente ; est-il passionné ? elle sera vive ; efféminé ? maniérée et lâche. Tout comme ces gens qui s’épilent la barbe ou en conservent quelques bouquets ; qui se rasent de si près le bord des lèvres et laissent croître le reste du poil ; qui adoptent des manteaux de couleur bizarre, des toges d’étoffes transparentes ; ne voulant rien faire qui puisse passer inaperçu ; appelant, provoquant l’attention ; acceptant le blâme, pourvu qu’on les regarde : tel est dans ses écrits Mécène ; tels sont tous ceux qui donnent dans le faux, non par méprise, mais le sachant et le voulant.

Cela provient d’une âme profondément malade. La langue du buveur ne balbutie point avant que sa raison ne soit appesantie, affaissée ou perdue ; de même ce genre et, pour dire vrai, cette ivresse de style n’attaque jamais qu’une âme déjà chancelante. C’est donc l’âme qu’il faut guérir : le sentiment, l’expression, tout vient d’elle ; elle détermine l’habitude du corps, la physionomie, la démarche. Saine et vigoureuse, elle communique au discours son énergie, sa mâle fermeté. Abattue, le reste s’écroule avec elle.

… Le roi vivant, tous n’ont qu’un même esprit ;

Sa mort brise le pacte[1].

Notre roi c’est notre âme. Tant que sa force est entière, elle retient tout l’homme dans le devoir par le frein de la subordi-

  1. Géorg., IV, 212.