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est leur mérite, et que tu es pressé, et que tu ne veux pas attendre le livre où je m’occupe à présent même à classer l’ensemble de la philosophie morale, je vais résoudre tes doutes. Toutefois je veux avant tout t’indiquer le moyen de diriger cette ardeur de savoir dont je te vois enflammé, et qui pourrait se faire obstacle à elle-même. Il ne faut ni butiner au hasard, ni envahir avidement tout le champ de la science : c’est partie par partie qu’on arrive à saisir le tout. On doit proportionner le fardeau à ses forces, et ne pas prendre au delà de ce qu’on peut porter. Ne puise pas selon ton désir, mais selon ta capacité. Commence par avoir l’âme bien réglée ; ta capacité répondra à tes désirs. Plus une telle âme reçoit, plus elle s’étend.

Voici un précepte que j’ai retenu d’Attalus[1], lorsque j’assiégeais son école, le premier à m’y rendre et le dernier à la quitter ; lorsque, durant ses promenades mêmes, je l’attirais dans l’une de ces discussions instructives auxquelles il se prêtait de bonne grâce, qu’il provoquait même. « Le maître et le disciple, disait-il, doivent avoir un but commun et vouloir, l’un se rendre utile, l’autre profiter. » Que celui qui vient aux leçons d’un philosophe y recueille chaque fois quelque fruit, et s’en retourne ou plus sage ou plus près de l’être. Et il en sera ainsi : car telle est l’influence de la philosophie, que non-seulement ses prosélytes, mais tous ceux qui l’approchent y gagnent[2]. Qui s’expose au soleil brunira son teint, bien qu’il n’y vienne pas pour cela ; qui s’arrête et fait longue séance dans la boutique d’un parfumeur emporte avec soi l’odeur du lieu ; de même, au sortir de chez un philosophe, quelque chose de lui nous suit nécessairement et nous profite, tout inattentifs que nous soyons. Pèse bien mes termes : je parle d’inattention, non de répugnance.

« Mais quoi ? N’avons-nous pas vu des hommes suivre maintes années un professeur de sagesse, et ne pas prendre la moindre teinte de ses doctrines ? » Comment ne les aurais-je pas vus ? Et c’étaient les plus persistants, les plus assidus, ceux que j’appelle, moi, non pas disciples, mais piliers d’école. D’autres viennent pour entendre, non pour retenir, comme on va au théâtre chercher le plaisir et amuser son oreille de paroles, de chant ou de drames. Pour la plupart de ces habitués tu verras

  1. Voy. sur Attalus, Lettres IX, LXIII, LXXXI.
  2. Voy. Lettre LX.