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« D’ici même, dès aujourd’hui, fais effort et prends ton élan : attache-toi à tes amis, à tes parents comme à choses qui ne sont pas tiennes ; élève-toi d’ici à de plus hautes et plus sublimes méditations. Quelque jour la nature t’ouvrira ses mystères, la nuit présente se dissipera, et une lumière pure t’inondera de toutes parts. Représente-toi de quel éclat vont briller ces milliers d’astres confondant ensemble leurs rayons. Pas un nuage ne troublera cette sérénité ; toutes les plages du ciel se renverront une égale splendeur. La nuit ne succède au jour que dans notre infime atmosphère. Alors tu confesseras avoir vécu dans les ténèbres, quand ton être complet envisagera la complète lumière que d’ici, à travers l’étroite orbite de tes yeux, tu entrevois obscurément et que pourtant tu admires de si loin. Que te semblera-t-elle cette divine clarté, contemplée dans son foyer93 ? »

De telles pensées ne laissent séjourner dans l’âme aucun penchant sordide, bas ou cruel. « Il est des dieux, nous disent-elles, témoins de tout ce que fait l’homme : soyez purs devant eux, rendez-vous dignes de les approcher un jour, proposez-vous l’éternité. Si l’homme l’embrasse comme son idéal, ni les armées ne lui font peur, ni la trompette ne l’étonne, ni les menaces ne l’intimident. Comment craindrait-il ? pour lui la mort est une espérance. Celui même qui ne croit à l’âme et à sa durée qu’autant que la retiennent les liens du corps, d’où elle se dégagerait pour s’évaporer aussitôt, s’il travaille à se rendre utile même après son trépas, alors tout ravi qu’il soit à nos yeux, cependant

Et ses hautes vertus et l’éclat de sa race

Vivent dans la mémoire…[1]


Songe combien les bons exemples servent l’humanité, et reconnais que le souvenir des grands hommes ne profite pas moins que leur présence.



  1. Énéide, IV, 3.