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« Si je t’écris ceci, ce n’est pas que je pense que tu l’attendes de moi : le remède viendrait bien tard ; et je suis sûr de t’avoir dit de vive voix tout ce que tu vas lire. Mais j’ai voulu te punir d’un moment d’oubli qui t’avait laissé absent de toi-même, et, pour l’avenir, t’exhorter à opposer à la Fortune toute la vigueur de ton courage, à prévoir tous ses traits, non comme possibles, mais comme devant t’atteindre à coup sûr. »


LETTRE C.

Jugement sur les écrits du philosophe Fabianus.

Tu m’écris que tu as lu avec beaucoup d’empressement les livres de Fabianus Papirius sur les devoirs civils, mais qu’ils n’ont pas répondu à ton attente ; puis, oubliant qu’il s’agit d’un philosophe, tu blâmes sa construction oratoire. Admettons que tu dises vrai, qu’il laisse aller ses paroles et ne les travaille pas. D’abord cette manière a sa grâce, et un charme particulier s’attache à une composition facile et coulante. Car il est essentiel, je crois, de distinguer si elle tombe négligemment, ou si elle s’échappe avec aisance. Et ici même, comme je vais le dire, il y a une différence importante. Fabianus, ce me semble, ne presse pas sa diction, il l’épanche, tant elle abonde et se déroule avec calme, bien que l’entraînement s’y laisse sentir. Elle annonce et révèle clairement qu’on ne l’a ni façonnée ni longtemps tourmentée. Mais, croyons-le comme toi : il a fait de la morale, non du style ; il a écrit pour l’âme et point pour l’oreille. D’ailleurs, quand il discourait, tu n’aurais pas eu le temps de songer aux détails, tant l’ensemble t’aurait transporté ; et presque toujours ce qui plaît improvisé est d’un effet moindre sur le manuscrit. Mais c’est déjà beaucoup de captiver au premier abord l’attention, encore qu’un examen réfléchi doive trouver à reprendre. Mon avis, si tu le demandes, c’est qu’il est plus beau d’emporter les suffrages que de les mériter ; et je sais bien que les mériter est le plus sûr ; je sais qu’alors on compte plus hardiment sur l’avenir.

Un style trop circonspect ne sied point au philosophe. Quand sera-t-il énergique et ferme, quand risquera-t-il sa personne,