Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps, et nous dirons à la Fortune : « Tu as affaire à un homme de cœur ; cherche ailleurs qui tu pourras vaincre. »

Avec ces propos et d’autres semblables, notre ami[1] calme les douleurs d’un ulcère qu’assurément je voudrais voir perdre de sa violence et se guérir, ou rester stationnaire et vieillir avec lui. Mais pour lui je suis bien tranquille ; c’est la perte que nous ferons qui m’inquiète, si ce digne vieillard nous est enlevé. Car lui, il est rassasié de la vie ; s’il en désire la prolongation, ce n’est pas pour lui, mais pour ceux auxquels il est utile. Il vit par générosité. Un autre eût déjà mis fin à de telles souffrances ; notre ami pense qu’il est aussi honteux de se réfugier dans la mort que de la fuir. « Eh quoi ! si tout l’y engage, ne quittera-t-il pas la vie ? » Pourquoi non, si, n’étant plus utile à personne, il ne fait plus que perdre sa peine à souffrir ? Voilà, cher Lucilius, s’instruire d’exemple à la philosophie et s’exercer en présence des actes : voir ce qu’un homme éclairé a de courage contre la mort, contre la douleur, aux approches de l’une, sous l’étreinte de l’autre. Ce qu’il faut faire, apprenons-le de celui qui le fait. Jusqu’ici nous cherchions par des arguments s’il est possible à qui que ce soit de résister à la douleur, si les plus grands courages eux-mêmes fléchissent en face de la mort. Qu’est-il besoin de paroles ? La chose est sous nos yeux. Voici un homme que ni la mort ne rend plus ferme contre la douleur, ni la douleur contre la mort : contre toutes deux il s’appuie sur lui-même ; l’espoir de la mort ne le fait pas souffrir plus patiemment, ni l’ennui de la souffrance mourir plus volontiers : il attend l’une, il supporte l’autre.


LETTRE XCIX.

Sur la mort du fils de Marullus. Divers motifs de consolation.

Je t’envoie la lettre que j’écrivis à Marullus quand il perdit son tout jeune fils, et qu’on m’apprit qu’il supportait cette perte avec peu de fermeté. Je n’y ai pas suivi l’usage ordinaire,

  1. On ne sait quel est cet ami.