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vie, il y a plus de honte à faillir volontairement. Ajoute que le plus grand nombre des arts, même les plus libéraux, ont leurs axiomes en outre des préceptes, comme la médecine. C’est pourquoi autre est l’école d’Hippocrate, autre celle d’Asclépiade, autre celle de Thémison. D’ailleurs point de science contemplative qui n’ait ses axiomes, nommés par les Grecs δόγματα, que nous pouvons appeler ou decreta, ou scita, ou placita, et que tu trouveras dans la géométrie et l’astronomie[1]. Or, la philosophie est à la fois contemplative et active : elle observe et agit tout ensemble. On se trompe si l’on croit qu’elle ne promette que des œuvres terrestres ; elle aspire plus haut. « J’explore, dit-elle, tout l’univers et ne me borne pas au commerce des mortels ; vous conseiller, vous dissuader ne me suffit point ; de grands objets m’appellent qui sont au delà de votre portée. »

Je vais dire d’abord le système des cieux,


L’origine du monde et l’histoire des dieux ; D’où la nature crée et nourrit toutes choses ;

Leur fin, leur renaissance et leurs métamorphoses[2],


comme parle Lucrèce. Il s’ensuit donc que la philosophie, comme contemplative, a ses axiomes. Et puis n’est-il pas vrai que nul ne fera bien ce qu’il doit faire, s’il n’est instruit par la raison à remplir en toute chose toute l’étendue de ses devoirs ? Celui-là ne les observera pas qui aura reçu des préceptes relatifs et non généraux. Toute leçon partielle est faible en elle-même et pour ainsi dire sans racine. Les axiomes seuls nous affermissent, nous maintiennent dans la sécurité et dans le calme, embrassent et la vie tout entière et toutes les lois de la nature. Il y a la même différence entre les axiomes de la philosophie et ses préceptes qu’entre les éléments et les corps : ceux-ci dépendent de ceux-là, ceux-là sont les causes de ceux-ci, comme de tout.

« L’antique sagesse, dit-on, ne prescrivait rien de plus que ce qu’il faut faire ou éviter ; et les hommes d’alors en valaient beaucoup mieux ; depuis que sont venus les docteurs, les gens de bien ont disparu. Cette simple et accessible vertu s’est changée en une science obscure et sophistique : on nous enseigne à disputer, non à vivre. » Sans doute, comme vous le

  1. Avant Sénèque, qui a introduit le mot astronomia, on disait astrologia
  2. Lucrèce, I, vers 40.