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et de l’état de l’âme, et partant ne contribue en rien à compléter la vertu, puisque les deux autres suffisent. » Ainsi donc la consolation aussi serait superflue, car elle a la même origine ; et aussi l’exhortation, les conseils, les raisonnements même, toutes choses qui proviennent de l’état d’une âme bien réglée et forte. Mais quoiqu’elles naissent d’une excellente situation de l’âme, cette situation est produite par elles, tout comme elle les produit. Et puis votre objection suppose déjà un homme parfait et monté au comble de la félicité humaine. Or on n’arrive là que bien tard, et, en attendant, l’homme imparfait, mais en progrès, a besoin qu’on lui montre les voies et façons d’agir. Ces voies, peut-être la sagesse saura-t-elle les trouver sans avertissements, elle qui a déjà conduit l’âme à ne pouvoir se porter que vers le bien ; quant aux esprits encore débiles, il est nécessaire que quelqu’un les précède et leur dise : « Évitez ceci, faites cela. » D’ailleurs, s’ils attendent à savoir par eux-mêmes ce qu’il y a de meilleur à faire, jusque-là ils ne peuvent qu’errer et leurs erreurs les empêcheront d’arriver à se suffire ; il leur faut donc un guide, pendant qu’ils se rendent capables de se guider. Les enfants apprennent par règles : on leur tient les doigts, que la main du maître promène sur le tracé des lettres figurées ; puis on leur prescrit d’imiter le modèle d’après lequel se réforme leur écriture ; ainsi notre âme trouve dans les préceptes instruction et secours.

Voilà comment on prouve que cette partie de la philosophie n’est point superflue. On se demande ensuite si seule elle suffit pour faire un sage. Cette question aura son jour[1]; jusque-là, toute argumentation à part, n’est-il pas clair que nous avons besoin d’un conseiller dont les leçons combattent celles que nous donne le peuple ? Aucune parole n’arrive impunément à nos oreilles : qui nous souhaite du bien nous nuit, qui nous souhaite du mal nous nuit encore ; les imprécations des uns nous inspirent de chimériques terreurs, et l’affection des autres nous abuse par ses vœux bienveillants, en nous envoyant vers des biens éloignés, incertains, fugitifs, quand nous pouvons puiser chez nous la félicité. On n’est plus libre, je le répète, de suivre le droit chemin : on est entraîné dans le faux par des parents, par des serviteurs ; nul ne s’égare pour soi seul ; on répand l’esprit d’erreur sur ses voisins, et réciproquement on le reçoit d’eux. Et pourquoi l’individu a-t-il les vices de la so-

  1. Elle fait l'objet de la lettre suivante.