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s’enquérir du pourquoi. Tant la vérité, même sans démonstration, nous entraîne toute seule !

Si le respect est un frein pour l’âme, une barrière pour le vice, pourquoi l’avertissement n’aurait-il pas le même pouvoir ? Si le châtiment imprime la honte, pourquoi l’avertissement ne le ferait-il pas, lors même qu’il n’emploie que les préceptes sans rien de plus ? Mais il est plus efficace et pénètre plus avant, s’il appuie de raisons ses conseils, s’il ajoute pourquoi la chose doit se faire, quel fruit est réservé à celui qui la fait et qui obéit aux préceptes. Si l’autorité est utile, l’avertissement le sera ; or elle est utile, par conséquent l’avertissement aussi.

La vertu se divise en deux parties, la contemplation du vrai et l’action ; la doctrine nous porte à la première, l’avertissement à la seconde. L’action droite est à la fois l’exercice et la manifestation de la vertu ; or si celui qui conseille sert pour l’action, celui qui avertit sert encore. Si donc l’action droite est nécessaire à la vertu, et que cette action nous soit indiquée par l’avertissement, l’avertissement aussi est nécessaire. Deux choses ajoutent singulièrement aux forces de l’âme, sa foi en la vérité et en elle-même : l’avertissement donne l’une et l’autre. Il lui fait croire à la vérité, et cette croyance lui inspire l’enthousiasme et la remplit de confiance : concluons que l’avertissement n’est pas superflu. M. Agrippa, homme d’un grand caractère et, entre tous ceux que les guerres civiles ont faits illustres et puissants, le seul dont les succès aient été ceux de la patrie, répétait souvent qu’il devait beaucoup à cette maxime : « L’union fait prospérer les plus faibles établissements, l’anarchie dissout les plus forts. » Maxime qui, disait-il, l’avait rendu excellent frère, excellent ami. Si des sentences de ce genre, devenues familières à l’âme, la forment au bien, pourquoi cette portion de la philosophie, dont elles sont l’essence, n’en ferait-elle pas autant ? La vertu consiste, partie dans la doctrine, partie dans l’exercice : il faut apprendre, et confirmer par l’action ce qu’on a appris. S’il en est ainsi, non-seulement les décrets de la sagesse sont utiles, mais encore ses préceptes, véritables édits qui répriment nos passions et qui les enchaînent.

« La philosophie, dit-on, se partage en deux points : la science, et l’état de l’âme. Qui possède la science, qui s’est instruit de ce qu’il doit faire ou éviter, n’est point sage encore, s’il n’a comme identifié son âme avec ses instructions. La troisième partie, celle des préceptes, tient des deux premières, des décrets