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Ces vérités n’ont nul besoin d’avocat ; elles nous prennent par nos sentiments intimes, et c’est alors que la nature nous montre sa puissance et triomphe[1]. Nos âmes portent les germes de toutes les vertus, que développent les bons avis, comme à l’aide d’un souffle léger s’étend le feu d’une étincelle. La vertu se réveille dès qu’on la touche et qu’on la provoque. Il y a, en outre, des principes qui sont en nous, mais que nous n’avons pas bien présents, et qui obéissent à l’appel dès qu’on les énonce. Il est aussi des idées éparses et peu liées entre elles, qu’un esprit non exercé ne saurait réunir. C’est cette réunion qu’il importe d’opérer, pour leur donner à toutes plus de consistance et à l’esprit plus d’allégement. Autrement, si les préceptes ne sont d’aucun secours, il faut abolir tout corps de doctrine et s’en tenir à la simple nature. Ceux qui le prétendent ne voient pas qu’il y a des esprits actifs et pénétrants, comme des esprits lents et obtus ; que tel enfin est plus ingénieux que tel autre. La vigueur de l’esprit se nourrit et s’accroît par les préceptes qui ajoutent des idées aux idées naturelles, et qui rectifient les mauvaises tendances.

« Mais l’homme qui manque de principes droits, à quoi vos avertissements lui serviront-ils, enchaîné qu’il est par ses vices ? » Ils lui serviront à s’en affranchir. Car tout sentiment naturel n’est pas éteint en lui, mais seulement éclipsé et comprimé : en cet état même il tente de se relever, il lutte contre le génie du mal. Mais qu’il trouve assistance et soit soutenu par vos préceptes, il remonte à la vie, si toutefois une corruption invétérée ne l’a pas gangrené et frappé de mort ; car alors la philosophie avec toutes ses règles, avec toute l’instance de ses efforts, ne le ressusciterait pas. En quoi d’ailleurs diffèrent ses décrets de ses préceptes, sinon que les uns sont généraux, les autres particuliers ? Ce sont toujours des prescriptions, mais absolues dans le premier cas, et, dans le second, relatives. « À l’homme qui a des principes droits et honnêtes les avertissements sont superflus. » Point du tout : car tout instruit qu’il est de ce qu’il doit faire, il ne lit pas assez clairement dans ses devoirs. Ce ne sont pas nos passions seulement qui nous empêchent de faire des actes dignes d’éloge, c’est aussi l’incapacité de découvrir ce que chaque chose exige de nous. Parfois notre âme est bien réglée, mais apathique, et n’est pas exercée à trouver la route du devoir : les bons avis la lui montrent. « Ban-

  1. Voir Lettre CVIII.