Page:Sénèque - Œuvres complètes, trad. Baillard, tome II.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dût-elle agir tout entière et rassembler toutes ses forces, ne saurait extirper un ulcère endurci, envieilli dans l’âme ; s’ensuit-il qu’elle ne guérisse rien parce qu’elle ne guérit pas tout ? « Que sert de démontrer des choses évidentes ? » Cela sert beaucoup. Car souvent nous savons telle chose et nous n’y songeons point. L’admonition n’instruit pas, mais pique l’attention, mais réveille, mais fortifie nos souvenirs et les empêche de s’échapper. Nous passons devant tant d’objets sans les voir ! Avertir, c’est une manière d’exhorter. Souvent l’esprit ferme les yeux aux choses les plus visibles : il faut d’autorité le rappeler à la connaissance de ce qu’il connaît le mieux. C’est ici le cas de rappeler le mot de Calvus plaidant contre Vatinius : « Il y a eu brigue, vous le savez, et tous savent que vous le savez. » De même vous savez que l’amitié veut être saintement observée, et vous la trahissez ; vous savez qu’il est injuste d’exiger que votre femme soit chaste, quand vous corrompez celles des autres : vous savez que si elle doit être pure d’adultère, vous devez l’être de concubinage, et vous ne l’êtes pas. Aussi faut-il vous ramener fréquemment à ces souvenirs, car vous devez les tenir non pas à l’écart, mais sous la main. Toute vérité salutaire veut être souvent méditée, souvent approfondie ; et qu’on ne se borne pas à la connaître, mais qu’on l’ait à commandement. Ajoute que les choses déjà claires deviennent ainsi plus claires encore. « Si ce que vous prescrivez est contestable, vous devrez y joindre des preuves ; ce seront donc ces preuves, non les préceptes, qui feront effet. » Mais, sans même recourir aux preuves, l’autorité seule de celui qui conseille n’a-t-elle pas son efficacité, tout ainsi que les réponses des jurisconsultes gardent leur valeur, même quand les raisons n’en sont pas données ? En outre les préceptes mêmes ont intrinsèquement beaucoup de poids, surtout formulés en vers ou resserrés en prose sous forme de sentences, comme ces adages de Caton : « Achète, non pas l’utile, mais l’indispensable. Ce qui n’est pas utile, ne coûtât-il qu’un as, est trop cher. » Telles sont les réponses d’oracles ou les mots qui y ressemblent : « Sois ménager du temps. Connais-toi toi-même. » Exigeras-tu des preuves quand on te citera ces vers :

Pour remède à l’injure il ne faut que l’oubli.

Osons : le sort nous aidera[1].

Le paresseux fait obstacle à lui-même.
  1. Énéide, X, 284.