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traire exige force préceptes pour reconnaître les devoirs qu’impose la vie. Et encore, pour des yeux malades le médecin fait plus que traiter, il conseille. « Gardez-vous, dit-il, d’exposer la vue affaiblie à une trop vive lumière : des ténèbres passez d’abord à un demi-jour, puis osez davantage, et par degrés accoutumez-vous à supporter le plein midi. Après le repas point d’étude : ne forcez point un organe plein et gonflé ; l’impression de l’air, du froid qui vous frappe au visage, est à éviter ; » à quoi il ajoute d’autres avis semblables non moins efficaces que les médicaments[1]. « L’erreur, dit Ariston, est la cause de nos fautes ; les préceptes ne nous l’enlèvent pas, ils ne détruisent pas les opinions fausses touchant le bien et le mal. » J’accorde que par eux-mêmes les préceptes sont impuissants pour renverser les préventions erronées de l’âme ; mais est-ce à dire qu’ils le sont toujours, même avec d’autres auxiliaires ? En premier lieu ils renouvellent nos souvenirs, et puis, ce qui en bloc paraissait trop confus, la division des parties l’offre sous un jour plus exact. Dans votre système vous pourriez taxer de superflues toute consolation, toute exhortation ; or elles ne le sont pas ; donc les simples avis ne le sont pas non plus. « C’est folie, dites-vous, de prescrire au malade ce qu’il devrait faire bien portant ; c’est la santé qu’il faut lui rendre, sans quoi les préceptes sont vains. » Mais n’y a-t-il pas des règles communes à la maladie et à la santé, dont il faut être instruit, comme de ne point manger gloutonnement, d’éviter la fatigue ? Il y a des préceptes communs au pauvre et au riche. « Guérissez la cupidité et vous n’aurez rien à recommander ni au pauvre ni au riche, si la passion s’éteint chez tous les deux. » Comme si ce n’étaient pas choses différentes que de ne point désirer l’argent et que de savoir user de la richesse dont l’avare ignore la mesure, dont l’homme même qui ne l’est pas ne sait point l’usage ? « Extirpez les erreurs, les préceptes sont superflus. » Cela est faux : supposez en effet l’avarice plus généreuse, le luxe moins dissipateur, la témérité soumise au frein, l’apathie réveillée par l’éperon, tous les vices repoussés, encore reste-t-il à savoir et ce qu’on doit faire et comment on doit le faire. « Les avertissements seront sans effet, appliqués à des vices invétérés. » Mais la médecine elle-même ne triomphe pas des maux incurables : pourtant on l’y emploie tantôt comme remède, tantôt comme soulagement. La philosophie à son tour,

  1. Je retranche comme interpolé: Adjicit remediis inedicina consilia.