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Entre dans une école publique, tu verras que ce que les philosophes débitent avec tant d’importance et d’emphase est dans les livrets de l’enfance[1].

« Et après tout, enseignerez-vous des choses évidentes ou douteuses ? Évidentes, elles n’ont pas besoin qu’on en donne avis ; douteuses, on n’en croit pas le précepteur : les préceptes sont donc superflus. Veuillez bien me comprendre. Si vos avis sont obscurs et ambigus, il faudra les appuyer de preuves ; s’il vous faut prouver, vos démonstrations ont plus de valeur que le reste et suffisent toutes seules. « Voici comme il faut en user avec un ami, un citoyen, un allié. — Pourquoi ? — Ainsi le veut la justice. » Une théorie de la justice me fournit tout cela. J’y trouve que l’équité est en soi chose désirable, que ce n’est pas la crainte qui nous y force, l’intérêt qui nous y engage, que celui-là n’est pas juste à qui cette vertu plaît par autre chose que par elle-même.

« Quand, bien persuadé, je me suis imbu de ces doctrines, que me font vos préceptes qui m’apprennent ce que je sais déjà ? Les préceptes sont superflus pour qui a la science ; pour qui ne l’a pas, c’est peu de chose. Car il lui faut concevoir non-seulement ce qu’on lui prescrit, mais encore le pourquoi. Est-ce, je le répète, à l’homme qui a des idées justes sur les biens et sur les maux que les préceptes sont nécessaires, ou à l’homme qui en a des idées fausses ? Le second ne tirera de vous aucune aide : son oreille est acquise au préjugé public qui combat vos avertissements ; le premier, dont le jugement est arrêté sur ce qu’il doit rechercher ou fuir, sait ce qu’il a à faire sans même que vous parliez. Toute cette partie de la philosophie peut donc être écartée.

« Deux choses nous amènent à faillir, ou un fonds de mauvais penchants que des opinions dépravées ont fait contracter à l’âme, ou, sans que l’erreur la domine, c’est une propension vers l’erreur ; et bientôt entraînée par de faux-semblants loin du devoir, la voilà corrompue. C’est pourquoi nous devons ou guérir radicalement cette âme malade et la délivrer de ses vices, ou, si elle est libre encore mais tendante au mal, nous emparer d’elle les premiers. Les décrets de la philosophie opèrent ce double effet : donc ici vos préceptes n’ont rien à faire.

« D’ailleurs, si nous voulons donner des préceptes pour chaque

  1. « Les plus sublimes idées des philosophes sont dans les réponses du Catéchisme.» (Génie du Christianisme.)