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de la naissance et du tempérament, lors même que l’âme a longtemps et péniblement lutté pour s’en affranchir, ne nous quittent plus. On ne les étouffe pas plus qu’on ne les fait naître. Les acteurs, qui sur la scène imitent les passions, qui expriment la crainte dans ses agitations les plus vives, et l’abattement dans tous ses symptômes, n’ont d’autre moyen pour simuler la honte que de baisser la tête, prendre un ton de voix humble, fixer sur la terre des yeux à demi fermés : il ne leur est pas donné de se faire rougir, phénomène qu’on n’empêche ni ne provoque. La sagesse ne promet ni ne fait rien pour le combattre ; il ne dépend que de lui-même : il paraît contre notre volonté, comme il disparaît sans elle.

Mais ma lettre réclame le trait qui doit la terminer. Reçois donc un utile et salutaire conseil que je veux que tu graves dans ton âme : « Il nous faut choisir un homme vertueux et l’avoir constamment devant nos yeux, afin de vivre comme en sa présence et d’agir en tout comme s’il nous voyait. » Voilà, cher Lucilius, un précepte d’Épicure ; c’est un surveillant, un gouverneur qu’il nous impose, et avec raison. Que de fautes évitées, si au moment de les commettre on avait un témoin ! Prenons pour guide de conscience un homme révéré par nous, dont l’autorité purifie nos pensées les plus secrètes. Heureux le personnage dont la présence, que dis-je ? dont le souvenir même rend meilleur ! heureux qui le vénère assez pour qu’à ce seul souvenir il rentre dans le calme et dans l’ordre ! Qui rend aux vertus cet hommage le méritera bientôt lui-même. Oui, fais choix de Caton ou, s’il te paraît trop rigide, adopte la morale plus tempérée de Lélius : détermine-toi pour l’homme qui t’a plu par sa vie, par ses discours, par son visage même où son âme se montre au dehors : propose-toi-le incessamment soit comme censeur, soit comme modèle. On a besoin, je le dis encore, d’un type auquel se conforment nos mœurs. À moins d’une règle, les penchants vicieux ne se redressent point.